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10 avril 2014 4 10 /04 /avril /2014 17:40

Luc-Ferry.jpgRéponses du philosophe Luc Ferry au questionnaire de la Nietzsche académie.

 

Nietzsche académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Luc  Ferry - C’est le plus grand philosophe contemporain. C’est celui qui ouvre véritablement la période contemporaine. On pourrait aussi faire commencer la période contemporaine avec Schopenhauer. C’est vraiment l’idée de généalogie, l’idée de soupçon, la critique du nihilisme, la mort de Dieu, tous les thèmes de la philosophie contemporaine vont se retrouver développés déjà par Nietzsche. Et donc c’est de très loin le plus grand philosophe contemporain. Pour moi il y a trois très grands philosophes. Il y a Platon et Aristote pour les Anciens. Il y a Kant pour les modernes. Et il y a évidemment Nietzsche pour les contemporains. C’est de loin le plus important.

 

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

L.F. - « Le Crépuscule des idoles » sans aucune hésitation. C’est à mon avis son meilleur livre. A la fois il est très drôle. On y retrouve toute l’ironie, tout l’humour de Nietzsche, tout le style de Nietzsche. Mais en même temps c’est un des livres les plus argumentés, un des plus clairs, un des plus charpentés sur le plan – j’allais presque dire – rationnel.

 

N.A. - Être nietzschéen qu’est-ce que cela veut dire ?

L.F. - Rien. Cela ne veut rien dire. Vous pouvez être nietzschéen de gauche, de droite, du centre ou d’ailleurs. Vous pouvez lui faire dire n’importe quoi. Il y a eu des nietzschéens de toutes tendances. Il y a eu des nietzschéens hitlériens, il y a eu des nietzschéens soixante-huitards, quasiment Cohn-Bendit. Ca veut rien dire du tout.

     

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

L.F. - Cela ne veut rien dire du tout. On peut lui faire dire ce qu’on veut. Evidemment que Nietzsche est plutôt un homme de droite. C’est quand même, malgré tout, foncièrement un antidémocrate. Il déteste absolument l’anarchisme. Ses textes sont extrêmement hostiles à tout ce qui prolonge le nihilisme, c’est-à-dire toutes les religions de salut terrestre. Le concept de nihilisme est très important. Quand il parle de la mort de Dieu, il veut parler de la mort de l’idéal au fond, de l’idéal au sens où l’idéal est inventé pour nier le réel. Il parle de la structure du nihilisme. Et la structure du nihilisme se prolonge évidemment aussi bien dans le communisme, le socialisme, l’anarchisme, le progressisme, les droits de l’homme, l’idée démocratique, etc. Et donc d’une certaine manière oui c’est quand même plutôt un traditionaliste qu’un homme de gauche. Nietzschéisme de gauche c’est comme hitlérien cool et stalinien pluraliste, ça n’a pas de sens.

     

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

L.F. - Non, il n’y en a pas. Il n’y a pas vraiment d’héritage de Nietzsche. Bien sûr il y a évidemment Foucault et Deleuze qui sont vraiment nietzschéens mais je ne les considère pas comme des grands auteurs.  Deleuze est un grand historien de la philosophie mais ce n’est pas un grand penseur, Foucault non plus. Parmi les romanciers, je pense qu’il y a une influence réelle de Nietzsche chez Thomas Mann, notamment dans le premier Thomas Mann, celui des « Considérations d’un apolitique ». Le seul très grand philosophe à mon avis au 20 ème siècle c’est quand même Heidegger et il n’est pas nietzschéen bien que son livre sur Nietzsche soit magnifique, c’est un très grand livre, mais ce n’est pas un nietzschéen. Personne n’est vraiment nietzschéen parce que Nietzsche est tellement original, tellement singulier et sa pensée, en vérité, est tellement cohérente. Ce n’est pas du tout un poète bien que ce soit un immense écrivain. Franchement sortir telle ou telle idée de Nietzsche, la sortir de son contexte, j’allais presque dire, systématique. Bien sûr je sais que ce n’est pas un penseur du système mais malgré tout, il a une pensée extraordinairement charpentée et cohérente.  Oui il y a des thèmes nietzschéens qu’on retrouvera même chez Heidegger par exemple. Abbau der Metaphysik ça vient directement de Nietzsche, la déconstruction ça vient directement de Nietzsche. La formulation est de Nietzsche lui-même. Mais on ne peut pas sortir un thème de son contexte en disant voilà ça c’est nietzschéen, non il faut qu’il y ait l’ensemble pour que cela ait du sens.  Paradoxalement Nietzsche est un penseur presque systématique.

 

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?

L.F. - Non. C’est un des rares thèmes de Nietzsche auquel je ne m’attaquerai pas. Parce que je trouve le thème extraordinairement flou. Il y a chez Nietzsche lui-même plusieurs interprétations du surhomme. Je trouve que ce n’est pas son meilleur concept. De tous les concepts nietzschéens, c’est vraiment le seul qui ne m’intéresse pas.

 

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

L.F. - Il y en a deux qui me paraissent les plus importantes. « Ce qui a besoin d’être démontré ne vaut pas grand-chose » dans « Le Crépuscule des idoles ». Et puis une autre extraite de « La Volonté de Puissance » : « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations ». Je pense que ce sont ses deux paroles probablement les plus importantes.

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