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21 janvier 2021 4 21 /01 /janvier /2021 15:50

Réponses de l'essayiste Romain d'Aspremont au Questionnaire de la Nietzsche Académie. Diplômé de Sciences Po Paris, Romain d'Aspremont est l'auteur des essais d'inspiration nietzschéenne "Penser l'homme nouveau" et "The Promethean Right".

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Romain d'Aspremont - Il est moins le penseur qui m'a le plus influencé que celui dans lequel je me suis le plus retrouvé. Un auteur qui nous influence transforme nos opinions ; Nietzsche les a affinées, perfectionnées. L'auteur qui a réellement transformé ma vision du monde est le philosophe idéaliste Bernardo Kastrup, pour lequel la matière n'est que la projection, l'apparence de la conscience. Tout comme Nietzsche, Kastrup est influencé par la métaphysique de Schopenhauer (la nature de la réalité est la volonté, non pas rationnelle mais instinctive). Kastrup m'a toutefois permis de réaliser que la vision cosmologique de Nietzsche, selon laquelle la nature de la réalité est la volonté de puissance qui gouverne le vivant comme l'inerte, est compatible avec les dernières découvertes dans le domaine de la physique quantique (qui rendent le matérialisme et le dualisme intenables). Nietzsche est toutefois le seul penseur idéaliste (le “volontarisme métaphysique” de Schopenhauer et de Nietzsche est une forme d'idéalisme) à ne pas sombrer dans une vision de type bouddhiste : le cosmos ne reflète aucun “amour universel” venant apaiser le coeur des êtres maladifs pour lesquels l'existence n'est que souffrance dont il faut se libérer.

N.A. - Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

R.d'A. - Viser le dépassement de soi, du groupe, de l'espèce. Ne pas se complaire dans une nostalgie morbide, mais créer les conditions propices à l'éclosion d'une nouvelle espèce, plus énergique et créative qu'Homo Sapiens, délivrée du ressentiment, du nihilisme et de la haine de soi. Nietzsche a compris que l'Homme était une espèce maladive, qui s'est hissée trop rapidement au sommet de la chaîne alimentaire, sans avoir eu le temps de développer la confiance en soi propre à tout prédateur. Notre conscience est « notre organe le plus faible et le plus faillible »; y voir un accomplissement de l'évolution darwinienne est une erreur. La nature humaine n'est qu'une ébauche, une construction branlante. Le plus grand crime contre l'espèce serait de vouloir figer son évolution et, par là même, l'empêcher de prendre le contrôle de son avenir biologique. Voir en Nietzsche un penseur conservateur et anti-transhumaniste est erreur. Nietzsche est l'inverse d'un penseur de l'impuissance et de l'auto-limitation. Il nous intime d'affronter le danger qu'implique toute entreprise de dépassement : « L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme. » Ce fil au-dessus de l'abîme, c'est le transhumanisme ; c'est précisément la raison pour laquelle il nous faut nous y aventurer. Le dysgénisme est un abîme plus effroyable encore.

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

R.d'A. - Généalogie de la morale est son livre majeur car il dévoile la nature du poison qui ronge l'Occident : le Christianisme, la matrice de la gauche, de l'égalitarisme, du pacifisme, de la haine de soi. Les personnes de droite attachées à la défense du christianisme se doivent de lire ce texte, qui leur permettra de réaliser leur formidable incohérence intellectuelle. La droite se sent l'obligation de tout conserver du passé. Nietzsche souligne l'importance de l'oubli, de la purge – nécessité biologique et civilisationnelle. La mauvaise conscience faite religion ne saurait être conservée. Généalogie de la morale doit toutefois être complété par les Ecrits posthumes dans lesquels Nietzsche esquisse sa vision du Surhomme.

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

R.d'A. - Nietzsche est le père de la droite prométhéenne (révolutionnaire ou faustienne). Ses valeurs sont  de droite (hiérarchie, amour de la lutte) mais anti-conservatrices. Il considère les conservateurs comme une version appauvrie de la volonté de puissance : ils se contentent de conserver au lieu de croître. C'est là notre droite : une droite du juste-milieu, de la juste-limite, à taille humaine. Une droite-bonsaï. Tandis que la droite conservatrice s’interroge sur « comment conserver l’homme […], Zarathoustra demande […] comment l’homme sera-t-il surmonté ? » (Zarathoustra, livre IV, « De l'homme supérieur »). La droite est tellement sclérosée dans son conservatisme que la volonté nietzschéenne de forger un homme nouveau – le Surhomme – est parfois assimilée à une entreprise gauchiste. Depuis la défaite du fascisme, le concept de progrès est tout entier assimilé à la gauche : que l'on ne cherche pas plus loin la cause profonde de la mort de l'Occident et de la suprématie  idéologique de la gauche. Nietzsche nous permet de comprendre, ou plutôt de redécouvrir, que la volonté de dépassement et de progrès (osons nous emparer de ce concept !) est intrinsèquement de droite, car elle est le moteur même du vivant. La gauche est le royaume de l'égalitarisme, de la conservation, c'est-à-dire de la mort. La droite doit être celui du dépassement, de la rupture : « L’homme est le prétexte à quelque chose qui n’est plus l’homme ! C’est la conservation de l’espèce que vous voulez ? Je dis : dépassement de l’espèce. » (Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, IX, Gallimard, p.214). Pour notre époque, cela signifie embrasser le transhumanisme, au moins dans sa dimension génétique (plutôt que cybernétique). Dans Zarthoustra, la dimension eugéniste est explicite, avec cet appel à améliorer l'espèce : « C'est un corps supérieur que tu dois créer (...) - c'est un créateur que tu dois créer. Mariage : ainsi je nomme de deux êtres le vouloir de créer un seul être qui soit plus que ses créateurs. »

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

R.d'A. - Trop peu parmi les auteurs majeurs. Spengler s'en approche, mais il demeure hélas trop conservateur. Pour Nietzsche, l'âge d'or est à venir tandis que Spengler demeure désespérement décliniste. La Doctrine du Fascisme, co-écrit par Giovanni Gentile et Mussolini, est une remarquable tentative de transformer l'individualisme de Nietzsche en une idéologie du dépassement collectif, dans le cadre d'un Etat totalitaire. Si cette oeuvre semble trahir la pensée de Nietzsche (penseur de l'individu, aux antipodes d'un Etat totalitaire), il faut garder à l'esprit qu'il nous exhorte souvent à ne pas concevoir ses écrits comme formant une doctrine.

N.A. – Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

R.d'A. - Par-delà le bien et le mal, il est créateur de valeurs nouvelles, c'est pourquoi il est si délicat à définir. Il est un processus de dépassement permanent vers un surplus maîtrisé de vitalité, d'instincts, de sensibilité et de chaos intérieur. L'élitisme nietzschéen, qui affirme qu' «un peuple est le détour que prend la Nature pour produire six ou sept grands hommes - et ensuite pour s'en dispenser » est individualiste, ce qui le rend difficile à traduire politiquement. Ses surhommes semblent des demi-dieux solitaires et nomades, hermétiques les uns aux autres ; dans ces conditions, la société est à peine possible. Il semble qu'il n'y ait pas un seul type de surhomme, mais une infinité. Le rapport entre les surhommes et les hommes du troupeau n'est pas non plus hiérarchique. Nulle volonté de gouverner la masse, ni même de l'élever : « Le but n'est absolument pas de comprendre [les Surhommes] comme maîtres des premiers, mais au contraire : il doit y avoir deux espèces qui coexistent : les uns comme les dieux épicuriens, ne se souciant pas des autres ». C'est un élitisme de la frontière, de l'éloignement. Toute relation entre les surhumains et le troupeau est synonyme d'abaissement des premiers. Si l'homme fasciste se sacrifie pour la communauté, Nietzsche préfère sacrifier la communauté pour qu'advienne le surhumain. Cet individualisme est séduisant pour la jeunesse, mais il est également la raison pour laquelle la pensée de Nietzsche ne saurait, telle quelle, régénérer l'Occident, enferré dans un individualisme jouisseur. Il nous faut penser un juste milieu entre Nietzsche et Mussolini.

N.A. -Votre citation favorite de Nietzsche ?

R.d'A. - “L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme” ["Ainsi parlait Zarathoustra" - Le Prologue de Zarathoustra §4]

 

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1 janvier 2019 2 01 /01 /janvier /2019 20:10
Réponses au Questionnaire de la Nietzsche Académie d'Abir Taha, diplomate libanaise, philosophe et poète, chercheur à la Sorbonne (Centre d’histoire des philosophies modernes), auteur de deux ouvrages sur Nietzsche : "Nietzsche, Prophet of Nazism : the Cult of the Superman" et "Le Dieu à venir de Nietzsche, ou la Rédemption du Divin" (Paris, Editions Connaissances et Savoirs, 2005) traduit en anglais sous le titre "Nietzsche's Coming God, or the Redemption of the Divine".

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Abir Taha - La pensée de Nietzsche a façonné ma Weltanschauung de façon indélébile, et ce depuis mon plus jeune âge, mais depuis elle a bien évolué dans un sens plus spirituel et même mystique : dans mes écrits, y compris mes deux ouvrages sur Nietzsche, je parle du vrai Nietzsche, de sa vision pagano-hindouiste-dionysiaque et néo-aristocratique. Ainsi je mets l’accent surtout sur sa spiritualité occultée et j’explique que, loin d’être un matérialiste et un athée absolu, Nietzsche préconisait un « athéisme spirituel » d’inspiration païenne et prônait un nouveau mode de divinité qui devrait naître suite à la mort du Dieu monothéiste. Mon roman philosophique « The Epic of Arya – In Search of the Sacred Light » est décrit par nombre de critiques littéraires aux USA et en Europe comme la deuxième partie d’ « Ainsi Parlait Zarathoustra », et l’on me surnomme dans les cercles philosophiques « la sœur de Zarathoustra ».

 

N.A. - Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

A.T. - Le nietzschéen est un Surhomme en devenir, tout comme ce dernier est un dieu en devenir. Le nietzschéen est un pont vers la vraie vie, la seule digne d’être vécue : la vie héroïque, tragique, divine, celle qui prône la beauté, la perfection, la noblesse de pensée et de forme. Le nietzschéen est l’homme qui s’est débarrassé de ses peurs et de ses désirs « humains, trop humains », c’est l’aigle qui vit sur les cimes de l’Esprit, et qui fait fi des occupations et réflexions stériles d’une humanité formée de fragments d’hommes superficiels et superflus ne recherchant que le « bonheur bovin », au lieu de ressembler aux dieux, leurs aïeux, en s’élevant au-dessus de leur condition humaine et créant au-dessus d’eux-mêmes afin qu’ils périssent et que vive le Surhumain.

 

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

A.T. - Tous les livres de Nietzsche sont des perles et des puits de sagesse et donc doivent être lus, mais son Zarathoustra reste la bible du Surhumain, l’aube de l’Age d’Or et du retour des dieux.

 

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

A.T. - Nietzsche prône un aristocratisme spirituel – par opposition à l’aristocratie héréditaire – et supranational, le règne d’une « race des seigneurs » dont la mission serait de créer le Surhumain, le sens de la terre et par conséquent le seul sens et but de la vie, cette dernière n’étant rien d’autre que création et élévation perpétuelles. La vocation de l’homme est donc la réalisation de sa nature divine, et la création du Surhumain. Ceci est l’essence de la philosophie de Nietzsche. Par conséquent, comment parler encore de gauche et de droite, lorsqu’on regarde le monde du haut de l’Everest de l’Esprit qu’est la pensée de ce grand philosophe, « dernier disciple du dieu-philosophe Dionysos » ? Ceci étant dit, si l’on insiste à le classer, et donc à parler de politique au lieu de Grande Politique, la philosophie de Nietzsche est clairement de droite, et même d’extrême droite, étant donné son aristocratisme radical – lequel, cependant, prône une nouvelle noblesse non pas héréditaire mais spirituelle – et étant donné que même son supranationalisme (et son dédain du nationalisme étroit) était fondamentalement aristocratique, par opposition à l’universalisme humaniste de gauche. Les Seigneurs de la terre sont des âmes élevées, des Arhats ou Bodhisattvas qui se trouvent aux quatre coins du monde, au-delà des frontières érigées par les hommes, ce sont des Hyperboréens qui vivent sur les cimes, bien au-delà des vallées des troupeaux d’hommes fragmentaires aux âmes étroites et aux vertus horizontales.

 

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

A.T. - Nietzsche est à lui seul un paradigme. Il n’y a qu’un seul Nietzsche. Je décris Nietzsche comme « l’esprit le plus grand et l’âme la plus riche », un géant de l’esprit qui scinda l’histoire en deux, le pré et le post-Nietzschéisme. Cependant, bien qu’il n’y ait qu’un seul Nietzsche, ce grand philosophe a influencé diverses écoles philosophiques et penseurs de tous bords, et à des degrés différents : Sri Aurobindo, Heidegger, Bergson, Freud, Sartre, pour ne citer que quelques exemples.

 

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

A.T. - L’éternel dépassement de soi que Nietzsche préconise culmine dans la création du Surhumain, de l’Übermensch, qui est ainsi l’essence même et le sens de la vie. Il est l’homme complet, l’homme qui s’est dépassé, l’héritier des dieux et le créateur de nouveaux dieux. Chez les Hindous, on le nomme Arhat, et chez les Bouddhistes, Bodhisattva. Nietzsche décrit ainsi le Surhumain : "J’ai pour la première fois réuni en moi le juste, le héros, le poète, le savant, le devin, le chef ; j’ai étendu ma voûte au-dessus des peuples, j’ai dressé des colonnes sur lesquelles repose un ciel - assez fortes pour porter un ciel." Le Surhumain est l’homme synthétique, le philosophe artiste, le grand législateur de l’avenir, "l’unité du créateur, de l’amoureux, du chercheur, dans la puissance… la grande synthèse du créateur, de l’amoureux, du destructeur". C'est un Friedrich Nietzsche, le grand réformateur de l'humanité qui "impose sa main au prochain millénaire" car il est cet homme prédestiné qui fixe les valeurs pour des millénaires." Le Surhumain, antithèse exacte de "l'homme moderne", représente le zénith de la vision aristocratique du monde, incarnant des valeurs totalement différentes de celles des humains ordinaires, des valeurs hors du commun, hors du médiocre. Ce concept radicalement élitiste de Surhumain ne s'applique qu'aux êtres d'exception, c'est une espèce qui "n'est pas encore née" (sauf exception), comme dit Nietzsche ; en effet, le dépassement de soi, et par conséquent, la création du Surhumain, est un but réservé aux rares esprits supérieurs et créatifs, et reste un rêve impossible pour le commun des mortels qui, selon Nietzsche, n’ont pas de valeur inhérente.

 

N.A - Votre citation favorite de Nietzsche ?

A.T. - « Il faut que tu veuilles brûler dans ta propre flamme : comment voudrais-tu redevenir neuf si tu n'es pas d'abord devenu cendre ! »  « J'aime ceux qui ne cherchent pas, derrière les étoiles, une raison pour périr ou pour s'offrir en sacrifice ; mais ceux qui se sacrifient à la terre, pour qu'un jour la terre appartienne au Surhumain. » [« Ainsi parlait Zarathoustra »] 

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6 novembre 2018 2 06 /11 /novembre /2018 14:42

Réponses au Questionnaire de la Nietzsche Académie de Robert Steuckers, essayiste belge né en 1956, ancien du GRECE et de la Nouvelle Droite, auteur aux éditions du Lore de deux volumes sur "La Révolution conservatrice". 

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

 

Robert Steuckers - Nietzsche annonçait la transvaluation des valeurs, c’est-à-dire l’abandon et le dépassement de valeurs qui s’étaient pétrifiées au fil des siècles, jusqu’à devenir les charges que portait le chameau dans la fable de Zarathoustra. Il a fallu deux siècles et demi environ aux Européens pour se dégager des vieilles tables de valeurs : et ce processus de dégagement n’est nullement achevé car les résidus de ces fausses valeurs, qui résistent à la transvaluation, reviennent sans cesse à la charge, parfois avec une rage destructrice autant qu’inféconde, comme l’attestent le festivisme et le « politiquement correct ». Il y a encore bien du travail à faire ! Les pétrificateurs, avant les coups de marteau de Nietzsche, faisaient toutefois face aux résidus des valeurs antiques, celles des périodes axiales de l’histoire, qui offraient, face à leurs manigances, de la résilience tenace, malgré que les pétrificateurs étaient au pouvoir, alliés aux démissionnaires d’hier qui abandonnaient graduellement leurs exigences éthiques, leurs exigences de style, comme le montre parfaitement la déchéance des catholiques (et des protestants) en démocrates-chrétiens et des démocrates chrétiens en prétendus « humanistes » . A l’époque de Baudelaire et de Nietzsche, s’installe un système dominé par l’économie et la finance qui houspille les valeurs créatrices hors du champ d’action, hors de la vie de la plupart des hommes, réduisant ceux-ci à de la matière « humaine, trop humaine ». Ce système est toujours en place et se vend à nos pauvres contemporains, qui sont hélas « humains, trop humains », sous différents masques : Nietzsche nous apprend à les arracher, à dénoncer le plan pétrificateur qui se dissimule derrière les beaux discours eudémonistes ou les promesses politico-messianiques. Nietzsche est donc un Maître qui nous apprend de multiples stratégies pour nous extraire des pétrifications du système.

 

N.A - Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

R.S. - Cela signifie d’abord, et avant tout, combattre les falsifications mises en place pour faire triompher les projets des êtres vils, ceux qui pétrifient, comme je viens de le dire, mais qui, de cette pétrification, tirent leur pouvoir, le consolident et le perpétuent au détriment de la beauté et de la légèreté, de l’harmonie apollinienne et de l’ivresse dionysiaque. Tout est lourdeur, pesanteur, répétition chez les tenants des fausses valeurs en place, toutes pétrifiées, monstrueusement froides : Baudrillard parlait d’un système obèse ; l’architecture prisée par le système en place est d’une laideur sans nom, la répétition des poncifs du « politiquement correct » est d’une lourdeur à frémir. L’humain trop humain s’étiole en une dépression infinie, contraint qu’il est de ne surtout rien créer, même de petites choses originales car tout, désormais, doit être sérialisé. Etre nietzschéen, c’est vouloir, envers et contre tout ce que l’on nous propose, la véritable légèreté d’âme, le gai savoir, la beauté permanente de nos environnements, la magnifique variété du monde, obtenue par les perspectives aquilines, celles, justement, du Nietzschéen qui, tel l’aigle, vole haut au-dessus des contingences abrutissantes du système et voit les choses sur tous leurs angles. 

 

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

R.S. - Je recommande tout particulièrement La généalogie de la morale et L’Antéchrist, car ces deux livres sont justement ceux qui nous enseignent à arracher les masques des pétrificateurs. 

 

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

R.S. - Parce qu’il voulait bousculer les tables des valeurs au 19ème siècle, le nietzschéisme a d’abord été la marque des révolutionnaires de gauche, des anarchistes de tous poils, des artistes (parfois un peu déjantés) et des féministes. Dès la première décennie du 20ème siècle, la gauche allemande s’est pétrifiée à son tour, comme le déplorait et le fustigeait un social-démocrate combattif et contestataire (au sein de son propre vivier politique), tel Roberto Michels (qui parlait de la formation d’oligarchies fermées sur elle-mêmes au départ des bureaucraties des partis, tenues par les « bonzes »). La décennie qui a précédé la Grande Guerre a été, pour les socialistes allemands, l’époque d’une dé-nietzschéanisation progressive, les bonzes ne supportant pas l’audace nietzschéenne, surtout celle qui consiste à arracher les masques des hypocrites, à s’affirmer face aux conventions désuètes. C’est alors que l’on verra le nietzschéisme basculer vers la droite. En Autriche, comme je l’ai démontré dans le premier volume que j’ai consacré aux figures de la révolution conservatrice allemande, les socialistes consolident leurs positions sur l’échiquier politique de l’Empire des Habsbourgs jusqu’en 1914 parce qu’ils s’inspiraient de Wagner, de Schopenhauer et de Nietzsche. On peut également arguer qu’un socialiste italien prénommé Benito était, avant 1914, un activiste politique dont les inspirations philosophiques venaient de Hegel et de Marx, assurément, mais aussi de Bergson et de Nietzsche. Il quittera le parti socialiste italien, en voie de figement idéologique. Plus tard, le futur communiste Gramsci en fera autant, en dénonçant le « Barnum socialiste ». On peut arracher le masque des hypocrites au nom d’une révolution de gauche comme d’une révolution ou d’une restauration de droite.

 

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

 

R.S. - L’impact de la pensée de Nietzsche est immense et s’est diffusée à tous les niveaux des arts et des lettres en Europe. Pour des raisons purement didactiques, je me réfère généralement aux catégories forgées par le Professeur René-Marill Albérès, pour qui plusieurs filons dans les lettres européennes portent la marque de Nietzsche : 1)  le filon anti-intellectualiste, qui, sous des formes très diverses, reprend l’hostilité nietzschéenne au socratisme et à tout intellectualisme desséchant, une hostilité que l’on a appelée parfois sa « misologie » (son rejet des logiques et des raisons figeantes) ; 2) le filon dit du « déchirement et de l’action », propre aux années 1930 et 1940, qui englobe la soif d’aventure où l’existence audacieuse prend plus de valeur que l’essence, perçue, souvent à tort, comme figée et immuable. Nietzsche a brisé des certitudes pétrifiées : les hommes sont partis à la recherche d’autre chose, en tâtonnant, en se sacrifiant, en commettant parfois l’irréparable : ils ont été a-socratiques, non ratiocinants, pleins de panache ou tragiquement broyés. Je ne pense pas qu’il existe des auteurs entièrement nietzschéen, seulement des auteurs marqués par un aspect ou un autre du « continent philosophique » qu’est Nietzsche. Seul Nietzsche est pleinement nietzschéen : chacun, disait-il, est sa propre idiosyncrasie. Il ne fait sûrement pas exception à la règle ! Revenons à la notion de « continent nietzschéen » : l’expression est de Bernard Edelman, auteur aux PUF de « Nietzsche – Un continent perdu » (1999). L’œuvre nietzschéenne a effectivement des dimensions continentales, où l’on peut puiser à l’envi, sans jamais en venir à bout, sans jamais enfermer ce foisonnement dans un « enclôturement » trop étriqué.

 

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

R.S. - Les socratismes (christianisés ou non), les mauvaises consciences sur lesquelles tablent les idéologies manipulatrices ne retiennent que l’humain, trop humain, ou l’homme domestiqué (le « type ») par tous les vecteurs de morbidité qui ont agi dans l’histoire occidentale. Le surhomme est donc celui qui s’efforce d’aller au-delà de cette morbidité générale, par l’effet de sa volonté de puissance, et éventuellement y parvient, inaugurant de la sorte le règne des « grands hommes », mutants qui abandonnent les morbidités, devenues le propre de l’espèce humaine « typifiée ». 

 

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

R.S. - Ce n’est pas une citation mais un poème, intitulé Ecce homo : 

Ja ! Ich weiss, woher ich stamme !

Ungesättigt gleich der Flamme

Glühe und verzehr ich mich.

Licht wird alles, was ich fasse,

Kohle alles, was ich lasse:

Flamme bin ich sicherlich.

 

(Oui ! Je sais d’où je suis issu !

Insatiable comme la flamme

Je brûle et me consume.

Lumière devient ce que je saisis

Cendre ce que j’abandonne :

Oui, je suis flamme).

 

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17 octobre 2018 3 17 /10 /octobre /2018 16:14

Réponses de l'essayiste Jean-Yves Le Gallou au Questionnaire de la Nietzsche Académie. Co-fondateur de l'Institut ILIADE, Jean-Yves Le Gallou, vient de publier un essai sur la préférence de civilisation intitulé "Européen d'abord" aux éditions Via Romana.

 

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Jean-Yves Le Gallou - J’ai découvert Nietzsche, à 20 ans. Une double leçon : d’esprit critique mais aussi d’énergie . Voilà qui m’a construit tout au long de ma vie.

N.A. - Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

J-Y. L.G. - Je ne suis pas philosophe et je ne sais pas si je suis « nietzschéen », mais je crois que tout au long de la vie , il faut chercher à se dépasser . « Citius, altius, fortius » est un précepte olympique. « Plus est en nous » est la devise d’un mouvement scout. J’ai toujours essayé d’appliquer cette règle dans ma vie d’alpiniste (amateur) et de combattant intellectuel et politique.

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

J-Y. L.G. - « Ainsi parlait Zarathoustra » bien sûr mais aussi « Le Crépuscule des idoles ».

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

J-Y. L.G. - Je ne suis pas sûr que cette question ait beaucoup de sens. Reste que Nietzsche est clairement inégalitaire et... pas vraiment « politiquement correct »…

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

J-Y. L.G. - Un peu de provocation... Et d’alliance des contraires : Dominique Venner qui a été « nietzschéen » dans sa décision ultime. Le de Gaulle du « Fil de l’épée ».

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

J-Y. L.G. - Celui qui se dépasse.

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

J-Y. L.G. - Pour le versant critique : « et il clignait de l’œil » dans le passage sur « Le dernier homme » dans Zarathoustra. Un texte absolument extraordinaire tant il est prophétique ! Ce qu’il décrit, c’est la société actuelle. Et pour les leçons d’énergie : « Seules les pensées qui vous viennent en marchant ont de la valeur ». « Toute vie est lutte autour des goûts et des couleurs ».

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26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 21:45

Réponses de l’écrivain Thierry Ottaviani au questionnaire de la Nietzsche Académie. Né le 1er mars 1974 à Bastia, Thierry Ottaviani est l’auteur de "Nietzsche et la Corse" aux éditions Maïa.

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Thierry Ottaviani -  Il est un des auteurs qui explique sans doute pourquoi j’ai voulu faire par la suite des études de philosophie. Quand j’étais adolescent, j’avais souvent un livre de Nietzsche dans la poche, surtout quand je me promenais dans la montagne corse, près de Corte. J’aimais m’asseoir sur un rocher, situé sur les hauteurs, regarder le paysage et lire Nietzsche. À l’époque, je ne savais pas que ce grand philosophe avait souhaité s’installer dans le centre corse, à Corte, dans cette région d’où je suis originaire. Si en ce temps j’aimais déjà Nietzsche, je ne pense pas que c’était par hasard. De nombreux passages décrivaient les paysages que j’avais sous les yeux (bien que Nietzsche n’ait jamais mis les pieds en Corse). Aujourd’hui, mon regard sur cet auteur n’est bien sûr plus le même et je ne réduirais évidemment pas sa philosophie à la simple contemplation des montagnes insulaires, aussi belles soient-elles.

N.A. - Être nietzschéen qu’est-ce que cela veut dire ?

T.O. - Être nietzschéen, c’est chercher le dépassement de soi. Cela fait appel à certains concepts tels que la Volonté de puissance, la force, l’honneur ou la fierté… Des qualités que Nietzsche espérait trouver chez les Corses. Les Corses sont nietzschéens et Nietzsche l’avait compris ! Avant d’écrire « Nietzsche et la Corse », j’avais publié aux éditions Maïa un roman qui s’intitule « Chien de sang » et dont certains passages font référence à ce caractère nietzschéen d’hommes forts et libres, aimant « respirer l’air des hauteurs ». Ce roman avait été fortement inspiré par la Corse, mais aussi par la philosophie de Nietzsche.

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

T.O. - Tous. Si l’on veut bien comprendre ce philosophe, je pense qu’il faut lire l’ensemble de son œuvre, y compris ses derniers ouvrages, les plus importants.

N.A - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

T.O. - Ni l’un, ni l’autre. Nietzsche avait lu Paul Bourde, un auteur qui a écrit plusieurs pages sur la politique corse, expliquant qu’elle était très difficile à comprendre pour un observateur venu du continent, précisément parce que les notions de gauche et de droite n’avaient plus aucun sens sur cette île régie par des valeurs antiques. Cette non référence aux valeurs modernes ne pouvait que plaire à Nietzsche.

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

T.O. - Ceux qui ont influencé Nietzsche, très clairement, à commencer par Dostoïevski. J’en parle dans mon livre « Nietzsche et la Corse » à propos de l’étrange colère « calme, froide et raisonnable » que Nietzsche attribue au Corse… et au criminel. Stavroguine dans les Possédés ou Raskolnikov dans Crime et Châtiment sont des personnages nietzschéens (ainsi lorsqu’il est question dans ce livre de l’article de Raskolnikov qui distingue les hommes « ordinaires » et les hommes « extraordinaires »). Je dirais aussi que Stendhal est nietzschéen lorsqu’il parle de Napoléon ou Mérimée lorsqu’il raconte l’histoire de Carmen ou celle de Colomba.

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?

T.O. - Napoléon nous en donne une idée car il est, selon Nietzsche, une synthèse de l’inhumain et du surhumain. Mais, il n’est pas un surhomme proprement dit. L’homme accompli est celui qui veut s’éloigner de la bête pour aller vers le surhomme. Mais il faut être conscient de la distance qui nous sépare de celui-ci. Avoir facilement une trop haute estime de soi est un danger. Napoléon a péri à cause de cela. Mais, pour Nietzsche, il y a une chose pire encore : se rabaisser.

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

T.O. - « Qui sait respirer l’atmosphère qui remplit mon œuvre sait que c’est une atmosphère des hauteurs, que l’air y est vif. Il faut être créé pour cette atmosphère, autrement l’on risque beaucoup de prendre froid. La glace est proche, la solitude est énorme — mais voyez avec quelle tranquillité tout repose dans la lumière ! Voyez comme l’on respire librement ! » [in « Ecce Homo »]

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19 septembre 2017 2 19 /09 /septembre /2017 19:27

Answers from the british editor Steven Quayle to the Nietzsche Académie’s survey. Steven Quayle, degree in English Literature, editor of Lexido.com EBook publishing house, is editor of "Complete Quotations of Friedrich Nietzsche".

Nietzsche Académie - How Nietzsche is important for you ?

Steven Quayle - As a guide to avoid mediocrity.

N.A. – « Nietzschean », what does it mean for you ?

S.Q. - To be what I am.

N.A. - Which book would you recommend ?

S.Q. - "Twilight"

N.A. - Is nietzscheism right or left politically ?

S.Q - Definitely Right.

N.A. - According to you, which authors are nietzscheans ?

S.Q. - Freud, Sartre, Jung, Foucault. Derrida, D H Lawrence.

N.A. - Could you give a definition of the superman ?

S.Q. - Human 2.0 The Natural Man.

N.A. - What is your favorite Nietzsche's quote ?

S.Q. - « Everything done out of Love is done Beyond Good and Evil » [quote from « Beyond good and evil »]

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5 juin 2017 1 05 /06 /juin /2017 14:13

Réponses de Michel Maffesoli au questionnaire de la Nietzsche Académie. Michel Maffesoli, sociologue, professeur émérite à la Sorbonne, est l'auteur notamment de "L'Ombre de Dionysos".

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Michel Maffesoli - L’œuvre de Nietzsche a pour moi été d’une très grande importance. J’en ai fait pendant longtemps une lecture quasi-quotidienne, si bien que l’ensemble de mes livres est imprégné par cette pensée, même si comme c’est le cas pour toute œuvre qui vous marque et avec laquelle vous êtes en complète congruence, je ne le cite pas souvent. Tout ce que j’ai pu dire sur la figure emblématique de Dionysos, sur le retour du tragique, sur la critique du moralisme s’inscrit en droite ligne dans la pensée nietzschéenne. On peut dire, sans faire un anachronisme par trop poussé, qu’il y a dans cette œuvre une préfiguration de la postmodernité en cours.

N.A. - Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?
M.M. - Le nietzschéisme ne se présente en rien comme étant une pensée dogmatique. Mais au contraire, comme un perpétuel questionnement, ce qui est, véritablement, le cœur battant de tout chemin de pensée digne de ce nom. D’une certaine manière, dit métaphoriquement, à l’opposé du « Lycée » aristotélicien, procédant par système, la démarche nietzschéenne est plutôt une « académie » où prévalent le dialogue et l’échange perpétuel. Ce qui explique les fructueuses évolutions de la pensée et de l’homme Nietzsche.

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

M.M. - Il est bien délicat, tant cette œuvre est complexe, plurielle, de choisir un livre particulier. Mais s’il faut le faire, je proposerais La Naissance de la tragédie où sont exposées les caractéristiques essentielles du dionysiaque et l’importance du vitalisme qui est une des spécificités de l’œuvre nietzschéenne, en congruence essentielle avec le temps présent.

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?
M.M. - À l’encontre des diverses récupérations qui ont pu être faites de cette œuvre (bien évidemment celle induite par la sœur de Nietzsche), on peut dire que celle-ci est essentiellement « métapolitique » et ne peut en rien être récupérée par un parti quelqu’il soit ou être qualifiée de gauche ou de droite. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que les multiples commentateurs de cette philosophie appartiennent à des bords politiques on ne peut plus divers, ce qui est en soi significatif.

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?
M.M. - Comme je l’ai indiqué, il s’agit d’une œuvre adogmatique et « métapolitique », il me semble délicat de parler « d’un auteur nietzschéen ». On peut dire que nombre d’esprits aigus s’en sont inspirés. En France, je pense en particulier à Gilles Deleuze, sans que pour autant on puisse plaquer cette étiquette sur leur œuvre. Sans vouloir être par trop paradoxal, il me semble que Heidegger, dans la critique même qu’il fait de Nietzsche est traversé, de part en part, par le questionnement de ce philosophe.

 

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?

M.M. - Le « surhomme » a donné lieu à de multiples interprétations et même certaines, on le sait, d’inspiration totalitaire. Pour ma part, je dirais qu’il s’agit là de cette belle thématique, tout à la fois pré-moderne (celle de la philosophie antique) et postmoderne, ce qui est actuellement en gestation : à savoir le dépassement d’un individualisme étroit et du subjectivisme philosophique qui en est l’expression, à partir de Descartes dans la philosophie moderne. Le « surhomme » est ce qui me met en étroite relation avec l’Altérité, que celle-ci soit le fait de la communauté, de la nature ou de la déité.


N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

M.M. - Citation de Nietzsche que j’ai faite dans mon premier livre et reprise par la suite régulièrement : « Il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse. »
 

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6 mai 2017 6 06 /05 /mai /2017 20:41
Réponses de l'écrivain Mike Kasprzak au questionnaire de la Nietzsche académie. Mike Kasprzak est l'auteur du roman d'inspiration nietzschéenne "En guerre dès le matin" aux éditions 5 sens (https://catalogue.5senseditions.ch/fr/fiction-48/101-en-guerre-des-le-matin.html)

Nietzsche académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Mike Kasprzak - Nietzsche a été un révélateur. J'ai découvert Nietzsche vers la vingtaine, et j'ai été alors plein d'interrogations. Il y avait en moi énormément de germes d'idées qui ne trouvaient pas de réponse dans le monde extérieur. Qui ne trouvaient pas d'écho. Qui étaient en dissonance complète avec ce que je pouvais observer. Et j'ai découvert Nietzsche. Il a alors été ce révélateur. Voire même plus, un confirmateur, pour ne pas dire un affirmateur. Il a été la confirmation, l'alibi à ces interrogations. Non je me trompais pas. J'étais simplement en dehors du monde, de ce monde, et je ne le savais pas. Lire Nietzsche m'a confirmé dans mes idées. Pour revenir à l'auteur en lui même, philosophiquement, Nietzsche a pour moi une importance fondamentale par le fait qu'il est un est des philosophes les plus pragmatiques. Et la philosophie se doit d'être pragmatique, elle doit apporter des réponses directes et concrètes à la vie, la condition humaine, et Nietzsche est sans aucun doute celui qui s'en approche le plus.

N.A. - Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

M.K. - Bien que le terme « nietzschéen » soit bien souvent décrié, on peut tout de même essayer de lui en donner une définition. Être nietzschéen signifie être en accord avec les préceptes nietzschéens, et, bien que l'on qualifie souvent Nietzsche d’anti-système, en analysant sa philosophie, on peut extraire quelque chose de systématique en elle. Ce système c'est avant tout la déconstruction des mythes, des idoles. La dispersion des mensonges et des illusions. La philosophie nietzschéenne agit avant tout comme un prisme, un prisme qui disperse la lumière blanche pour faire apparaître l'ensemble du spectre visible. Il en est de même avec les faits, les interprétations, les morales. Être nietzschéen c'est lire les faits, les actes, à travers un prisme. La lumière du réel n'est plus simplement blanche, opaque, confuse, elle nous apparaît distincte, discrète, sincère, identifiable et démystifiée. Être nietzschéen, signifie donc, en partie, savoir observer le réel dans tout sa crudité. C'est observer les entrailles du réel. Pour savoir ce que cela veut dire, pour savoir quels sont ces mensonges, ces illusions, il faut lire Nietzsche lui-même.

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

M.K. - Pour une introduction à Nietzsche, je dirais « Crépuscule des idoles », qui est accessible, condensé, et fulgurant. Une bonne entrée en la matière. De la dynamite. Sinon pour une étude plus en profondeur, je pense que le duo « Généalogie de la morale » et « Par delà bien et mal » sont des lectures indispensables. Je garde « Ainsi parlait Zarathoustra » pour les lecteurs assidus, je ne pense pas qu'il soit recommandable à une personne qui souhaite découvrir Nietzsche. Certains livres pré-Zarathoustra peuvent aussi être une entrée en matière intéressante, comme Le Gai Savoir ou Aurore.

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

M.K. - Si l'on considère la droite et la gauche actuelle française, ni l'un ni l'autre. Malgré tout, si l'on veut essayer de placer Nietzsche sur l'échiquier politique, ce qui est certain c'est que Nietzsche ne serait pas à gauche. Son refus de la démocratie, de l'égalité imposée à tous les hommes, entre autre, font qu'il ne peut pas être à gauche. Cela dit il n'est pas non plus fondamentalement à droite, en précisant en peu plus, Nietzsche serait plutôt du côté des anarchistes de droite, voir même des anarchistes individualistes. La question reste compliquée mais ce qui est sûr c'est qu'il n'est pas de gauche.

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

M.K. - On retrouve du Nietzsche (pour tout un tas de raisons), chez : Hamsun, notamment avec Faim et Mystères, Strindberg, avec Au bord de la vaste mer, Dostoïevski par moments (voir le personnage de Raskolonikov), Calaferte, Hemingway par moment, Julius Evola, Pierre Drieu de la Rochelle, Fante et Bukowski également, et j'en oublie sûrement beaucoup.

N.A. - Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?

M.K. - Question difficile tant cette notion a été peu abordée par Nietzsche, mais qui lui confère une espèce de mythe, de place centrale, alors que le surhomme n'est finalement que la pointe de l'iceberg de la philosophie nietzschéenne. Le surhomme c'est premièrement, comme l'indique son article défini « le », l'homme seul. Non pas forcément seul socialement, mais seul face à ses choix, face à ses actes, faces à ses responsabilités et face à son destin. Ensuite le surhomme, c'est l'homme qui affirme,l'homme qui dit oui. C'est un homme qui agit, qui recherche ce que Nietzsche nommait la Volonté de puissance, qui s'en abreuve et s'en épanouit. C'est aussi le sens de la Terre, et en cela le sens de la Vie, c'est l'homme qui accepte sa condition d'être mortel, son destin de mortel, et la souffrance l'accompagnant. C'est l'homme qui finalement accepte de se dire que tout lui est favorable. Le bon comme le mauvais. C'est finalement un homme qui aime et qui aime aimer.

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

M.K. - « Plus nous nous élevons et plus nous paraissons petits à ceux qui ne savent pas voler. » Aurore.

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6 juin 2016 1 06 /06 /juin /2016 13:59
Gabriele Adinolfi

Réponses de Gabriele Adinolfi au questionnaire de la Nietzsche académie. Gabriele Adinolfi, essayiste et militant national-révolutionnaire italien, est l’auteur notamment de « Nos belles années de plomb » aux éditions l’Aencre et de « Pensées corsaires » aux éditions du Lore. (http://fr.gabrieleadinolfi.eu/tous-les-livres/)

Nietzsche académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?
Gabriele Adinolfi - Je ne saurais pas quantifier. Certainement son esprit m'a embrasé dès mon adolescence et son style aussi. Déconstruire pour rebâtir non pas en grammairien mais en poète veut dire parler de l'essence, à l'essence, par l'essence. Et justement cette essence, je dirais à la fois cette âme et cette race, représente la seule opposition existentielle et la seule voie de survie et de régénération pour un homme vivant à cette âge de décadence et de castration.


N.A. - Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?
G.A. - Je ne sais pas si le terme est exact ni si Nietzche lui-même l'aurait apprécié. Disons que cela signifie être vir, être grec, être germain, être indo-européen dans le grain ancestral duquel surgit toute civilisation réelle, qu'elle soit spartiate, romaine ou viking. C'est le retour au basic, au gène, à l'ADN "sauvage" de l'homme qui ne se laisse pas traîner comme une brebis dans un troupeau, en somme de celui qui n'est pas le "dernier homme" zarathoustrien et ne supporte pas de s'accommoder à son style de vie, mieux : à sa totale absence de style. Il signifie se mettre en face de soi-même soumis à son propre jugement, qui ne doit jamais être indulgent ni moral, mais beaucoup plus fort, plus ancien, plus innovant et plus solide que cela. Ceux qui croient que l'idée d' "être au-delà du bien et du mal" signifie être libres de faire ce que l'on désire se trompent largement. Il faut que chacun qui peut, fasse ce qu'il veut. Mais il ne peut pas vouloir quelque chose qui ne soit pas forte et dans une certaine façon juste en soi, autrement il ne s'agirait plus d'un vouloir mais d'un caprice.
L'anarque, qui est nietzchéen, n'a rien à voir avec l'anarquiste comme l'a si bien souligné Ernst Jünger.


N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous?
G.A. - Mon livre de chevet est "Ainsi parlait Zarathoustra"


N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche?
G.A. - Evidemment ni l'un ni l'autre. C'est une entreprise bien difficile de définir ce qu'est la droite et ce qu'est la gauche.
Bien sûr, si nous parlons de l'eschatologie gauchiste, si semblable à celui du clergé, Nietzsche s'y trouve aux antipodes. Si on pense plutôt à l'optimisme vitaliste qui se retrouve plus à gauche qu'à droite, bien que de façon mièvre, on peut dire alors que la gauche est plus nietzschéenne que la droite, ou du moins elle le fut dans le passé, je pense notamment à Jack London et à d'autres essors de le marier avec Marx dans un élan révolutionnaire.
Quant à la droite, si nous parlons de l'individualisme qui la caractérise, on ne doit pas se méprendre, ce n'est pas du tout le même que le nietzschéen, ni la prétendue défense des valeurs, qui est un refrain continu de la droite, n’est compatible avec celui qui comprit bien avant les autres qu'il ne faut pas en défendre mais en fonder des nouvelles. Par contre le pessimisme dans l'homme et dans le progrès rapprochent les gens de droite à la pensée nietzschéenne qui, en tout cas, est bien au-delà de ces catégories et plutôt annonce en quelque sorte l' "anarque" jungérien, ce qui n'est pas une figure si lointaine des squadristi et des corps-francs.


N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?
G.A. - Je ne suis pas en mesure d'en faire une liste. Evidemment, mis à part London, j'ajouterais Mussolini qui fut aussi auteur littéraire mais surtout l'auteur d'un chef d'oeuvre de la vie, de la société, de l'histoire et de la pensée.
J'ajoute Jünger qui me paraît une incarnation de Nietzsche et dont certains ouvrages, "Le Travailleur" et "Le traité du rebelle" dessinent un vrai manifeste nietzschéen.
Mais Julius Evola, dans sa critique constructive à Nietzsche qu'il voit privé de transcendance, ce qui à mon avis n'est pas tout à fait vrai, complète à mon égard le cadre en fondant l'anarque et la tradition ancestrale, qu'on ne doit jamais confondre avec les "traditionnalismes" bourgeois et religieux qui auraient effaré le Poète.
"Chevaucher le tigre" est d'après moi le manifeste nietzschéen le plus parfait existant jusqu'à aujourd'hui.


N.A. - Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?
G.A. - Pas vraiment une définition. Son croquis je le résume dans les "métamorphoses de l'esprit". Il doit être solide, discipliné, costaud comme le chameau, courageux, solitaire et rugissant comme le lion, innocent, simple et souriant comme l'enfant. Il doit appartenir à la nouvelle noblesse qui sera pauvre mais richissime car elle ne sera aucunement dépendante des nécessités du dernier homme.

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?
G.A. - "De tout ce qui est écrit, je n’aime que ce que l’on écrit avec son propre sang. Écris avec du sang et tu apprendras que le sang est esprit."

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12 octobre 2015 1 12 /10 /octobre /2015 13:34

Réponses au questionnaire de la Nietzsche académie de Julien Rochedy, auteur d’un essai d’inspiration nietzschéenne Le Marteau sous-titré Déclaration de guerre à notre décadence, auteur d’un mémoire universitaire sur Nietzsche et l’Europe et ancien directeur national du FNJ.
Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?
Julien Rochedy - Une importance fondamentale puisque je pense véritablement, sans pathos, qu'il a changé ma vie. Sa lecture, précoce, a fait office d'un baptême, d'une sorte de renaissance. Je l'ai lu si tôt (entre 14 et 17 ans) qu'on ne peut pas dire qu'il s'agissait de lecture à proprement parler, avec le recul et la distance que cela suppose. Je l'ai littéralement ingurgité, je l'ai fait mien, sans aucune interface entre ses livres et le jeune « moi » qui était en pleine formation. Dès lors, quoique je lise, quoique j'entende, quoique je voie ou quoique j'ai envie de faire, je ne peux l'appréhender qu'avec le regard nietzschéen qui me fut greffé si jeune.
N.A. - Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?
J.R. - Je tiens Nietzsche pour une paire de lunettes. Il est, pour moi, avant tout une façon de regarder le monde. Une grille de lecture. Un filtre d'exactitude et, surtout, de sincérité. C'est s’entraîner à percevoir ce qui se mue et s'agite autour de soi en se débarrassant des grilles de lectures morales (le bien et le mal) ou idéalistes (au sens de la primauté de l'Idée). C'est donc regarder les choses et les hommes par delà bien et mal, par le prisme des valeurs aristocratiques ou des esclaves (le sain et le malade, le bon et le mauvais), en s'attardant plutôt sur la psychologie, et en fin de compte, la physiologie (l'importance du corps comme heuristique de l'esprit) pour comprendre les idées d'un homme, au lieu de se mentir sur la capacité « raisonnante » et abstraite des humains. Et c'est aussi sentir profondément ce qui appartient au nihilisme, au déclin, au mensonge vénéneux, à la maladie et à la mort, plutôt qu'à la vie, à la grande vie et l'immense « oui » qui va avec. Je vous parlai de sincérité à propos de ce que nous oblige Nietzsche. Avec lui, après lui, on ne peut plus se mentir à soi-même. S'il m'arrive par exemple d'avoir une idée pour m'économiser, même si mon cerveau se met à fonctionner, comme de mise chez tous les hommes, pour me trouver une justification, morale ou raisonnable (toute « idée » est une justification de soi), je sais qu'en réalité cette idée ne fait que découler de ma faiblesse. Tout le reste est prétexte.
N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?
J.R. - Je ne recommanderai pas un livre en particulier, même si Par-delà bien et Mal et, bien sûr, Zarathoustra, surnagent. Je recommanderai plutôt une succession de livres pour celui qui voudrait se lancer dans Nietzsche. D'abord Généalogie de la morale, qui suscite directement un immense doute sur ce que l'on croyait établi sur la nature du bien et du mal. Puis Par-delà bien et mal, pour approfondir. Ensuite Zarathoustra, l'apothéose poétique de sa philosophie. Après, l'ordre compte moins. Je conseillerai toutefois particulièrement les œuvres de Nietzsche de l'après Zarathoustra, c'est à dire à partir de 1883, car j'ai toujours pensé qu'il y avait un Nietzsche, à la fois en tant qu'auteur (le style) et philosophe (la puissance), avant son Zarathoustra et après son Zarathoustra. L'auteur du Gai Savoir est encore un peu académique. Celui de Crépuscule des Idoles est pur génie.
N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?
J.R. - Tout dépend bien sûr de ce que l'on entend par droite et gauche. Ces concepts peuvent signifier tellement de choses différentes selon les personnes qu'il est difficile d'enfermer Nietzsche dans des espaces si vagues. Toutefois, en me permettant de les prendre d'un point de vue philosophique, si toutefois ce point de vue peut exister, je dirais bien entendu que Nietzsche est de droite. L'importance qu'il donne à l'inégalité, aux valeurs aristocratiques, au goût raffiné, à la sélection et à la force, ainsi que son mépris souverain pour la populace, les valeurs égalitaires, la féminisation, la démocratie, le matérialisme grossier, etc, font que Nietzsche ne peut évidemment pas être reconnu comme un auteur de gauche.
N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?
J.R. - Je pourrai vous faire une liste non exhaustive, de Drieu à Jünger en passant par London, mais ça n'aurait pas vraiment de sens, dans la mesure où ces auteurs peuvent être nietzschéens pour différentes raisons, et que des auteurs, nés avant Nietzsche, pourraient être considérés comme nietzschéens. Les grecs par exemple, Héraclite, Alcibiade, Périclès, sont des nietzschéens avant l'heure. Encore une fois, Nietzsche est une façon de voir le monde, et cette façon fut partagée mille fois dans l'Histoire, la plupart du temps par les hommes les plus grands, les plus intelligents et les plus honnêtes avec eux mêmes.
N.A. - Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?
J.R. - Avec une lecture simple, mais tout de même pas trop mal, je pourrais vous répondre : c'est le kalos kagathos des Grecs, l’homme idéal, celui qui a la vie la plus remplie et dont la santé débordante s'enrichit de toujours plus de passions et d’aventures, de pensées, de force et de beauté. Mais ce serait bien trop banal. Le Surhomme est celui qui accepte le tragique, le destin, et qui l'accepte en riant. C'est le Dieu Thor qui va à la guerre en riant aux éclats dans sa barbe rousse. Le monde n'a manifestement pas de sens, la vie est précaire, je suis imparfait, rien ne vaut rien, mais je cours au charbon quand même. Le pied dansant. Et là, à ce moment là, tout trouve son sens : la vie n'a comme seule justification qu'elle même. C'est le pessimiste actif dont parle Heidegger dans ses écrits sur Nietzsche.
N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?
J.R. - Je n'en ai pas une en particulier, mais laissez moi vous raconter une anecdote : un jour que j'étais dans un bar et que je réfléchissais, avant de l'écrire, à mon livre Le Marteau (d'inspiration largement nietzschéenne comme vous l'avez rappelé), je vois un grand gaillard venir s'accouder à côté de moi. Et sur l'un de ses avants bras, je vois tatoué « Amor fati ». J'exulte. Je vois cela comme un signe. Je me mets à délirer en mon for intérieur. Je lui fais signe et lui dit, bêtement, un truc du genre « aux nietzschéens ! » en levant mon verre. Il me répond, interloqué : « quoi ? ». Je lui répète et m’aperçois qu'en réalité il ne connaît pas Nietzsche. Il s'était tatoué ça juste « parce que ça sonnait bien ». Alors finalement, je vous répondrai « amor fati ». Ça résume tout. Et en plus ça sonne bien.
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