Face aux mystifications dont fait l'objet Nietzsche, gauchiste et chrétienne, je me dois de souligner le caractère Hyperboréen de Nietzsche là où d'aucuns voudraient qu'il fût un hédoniste ou un chrétien manqué. J'ai écrit l'essai "Nietzsche Hyperboréen ou l'école du Surhomme" à cette fin, pour mettre en exergue la dimension Hyperboréenne de la philosophie nietzschéenne. Nietzsche veut faire de nous des dieux à l'image d'Apollon et Dionysos. C'est pourquoi la philosophie nietzschéenne par ailleurs sera toujours destinée à une élite. Dans "La Naissance de la tragédie" Nietzsche a mis en lumière l'importance du tandem Apollon Dionysos dans la psyché européenne et du moteur prométhéen de l'homme européen dans sa vocation à devenir un dieu. C'est en lisant Epicure, la lettre à Ménécée en particulier, que j'ai eu la confirmation de cette vocation prométhéenne de la philosophie nietzschéenne. Epicure parle des dieux en les désignant sous l'appellation de Bienheureux. Nietzsche, en bon philologue classique, y fait référence dans "Ainsi parlait Zarathoustra" quand il évoque son île des Bienheureux où séjournera ses enfants à venir i.e. le Surhomme. Il faut ainsi comprendre en filigrane que l'intention de Nietzsche est que l'homme, qui est quelque chose qui doit être dépassé, devienne un dieu "épicurien", un Surhomme, un Bienheureux, un dieu indifférent au malheur des hommes, vivant dans la félicité de sa perfection et de sa puissance. Du reste Hésiode, Hérodote et Diodore de Sicile qualifient les Hyperboréens de Bienheureux. Si dieu est mort comme l'annonce Nietzsche à travers la figure de l'insensé dans "Le Gai Savoir" ce n'est pas pour s'en plaindre et retourner au christianisme mais bien pour inviter les hommes à se dépasser et devenir des dieux : "Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux pour du moins paraître dignes des dieux ? " Que celui qui a des oreilles entende et manie le marteau du philosophe prométhéen pour sculpter sa vie et devenir un Hyperboréen.
Trois questions à Isabelle Grazioli, universitaire, auteure d'une thèse sur Ernst Jünger "Sentinelle entre mythe et Histoire" et du livre "Jünger" dans la collection "Qui suis-je ?" aux éditions Pardès.
Nietzsche Académie - Quelle est l'influence de Nietzsche sur Ernst Jünger ?
Isabelle Grazioli - Friedrich Nietzsche, tout à la fois philosophe, philologue et spécialiste de la pensée et de la littérature grecque ancienne, fut ce dynamiteur qui provoqua des secousses sismiques dans le monde intellectuel de son temps. Ce séisme d’ampleur qui annonçait avec témérité la montée inéluctable du nihilisme, mais aussi la fière solitude du Surhomme, avait été préparé dans les profondeurs par les travaux de précurseurs, penseurs, poètes aussi, et dont les œuvres avaient jalonné les XVIIIe et XIXe siècles ; citons brièvement l’apport des moralistes français, des classiques Goethe et Schiller, des inclassables comme Hölderlin et Kleist, de Schopenhauer et son pessimisme intellectuel…autant d’auteurs qu’un fils issu du « Bildungsbürgertum »[1] comme Ernst Jünger se devait de lire au lycée.
Par la teneur même de son questionnement ontologique, par sa réflexion sur la culture et son devenir, sur la religion, Friedrich Nietzsche devait exercer une influence profonde sur une, voire sur deux générations d’Allemands. On pense certes à celle exercée sur les membres de la Révolution Conservatrice mais elle retentit aussi sur d’autres cercles, à titre d’exemple citons l’œuvre lyrique des poètes Rainer Maria Rilke ou de l’expressionniste Georg Trakl. Il faut aussi se demander quelle version était alors à la disposition du lectorat de Friedrich Nietzsche dans les toutes premières décennies du XXe siècle. Sa sœur, Elisabeth Förster-Nietzsche, n’avait certes pas livré l’héritage intellectuel aux flammes de l’holocauste, mais en dépit d’une fidélité fraternelle, elle avait puisé dans la masse documentaire laissée par son frère ; elle avait choisi les feuillets et surtout disposé les passages pour l’édition des œuvres, ce qui influait le sens dans une direction autre que celle sans aucun doute voulue par son frère. A titre d’exemple, Hugo Fischer (1897-1975), ami proche d’Ernst Jünger, se réfère dans son Nietzsche Apostata à l’édition publiée par la sœur du philosophe[2]. Précisons également que dans les années 1920-30, soit la première période productive d’Ernst Jünger, l’œuvre de Nietzsche était présentée aux lecteurs des journaux néo-nationalistes sous forme d'extraits et de passages choisis et, enfin, que les ouvrages de Nietzsche figuraient rarement dans la liste des livres dont on recommandait la lecture.
A la mort de Nietzsche survenue en 1900, Ernst Jünger (1895-1998) était alors âgé de cinq ans ; il devait découvrir à l’adolescence avec son cadet Friedrich Georg Jünger (1898-1977) des écrits du philosophe lorsque tous deux fréquentaient le mouvement de jeunesse Wandervogel, soit à la veille de la Première Guerre mondiale. Qu’attendre d’un philosophe ? La réponse vient de Ernst Jünger lui-même quand, dans son roman tardif Eumeswil publié en 1977, il prête à Martin Venator, « historien-né » et anarque, la réflexion suivante « Du philosophe, on attend un système » et il conclut le paragraphe en ces termes : « Nous apprendre à penser, c’est nous rendre maître des hommes et des faits »[3].
L’œuvre nietzschéenne allait laisser différentes traces dans l’œuvre de Jünger et influencer son propre style d’écriture ; comment ne pas être marqué par les tournures incisives de Nietzsche, par la fulgurance de ses formules ? Pensons aux aphorismes dont il était maître, au rythme des écrits Ecce Homo ou Humain Trop Humain… Cette soudaineté trouve un écho dans l’œuvre d’Ernst Jünger car elle correspond à l’enchaînement ininterrompu du calme relatif et du danger extrême qu’il avait connu dans les tranchées et qu’il retranscrit dans ses récits de guerre. Après la forme, le fond … La puissance de l’œuvre nietzschéenne est portée par un souffle esthétique et éthique, par une force qui est avant tout politique, car elle met en cause de manière radicale des fondements de notre civilisation. Nietzsche avait une lecture critique de son temps et de la modernité ; philosophe et médecin de la culture[4], il voulait observer le monde tel qu’il se présentait dans sa réalité et refusait de se leurrer sur lui ; c’est en cela qu’il influença durablement toute une génération d’Allemands car tel un médecin attaché à examiner un corps vivant, il lui revint d’établir le diagnostic le plus lucide, le plus profond et le plus puissant de la maladie qui touchait les sociétés européennes. Son jugement devait marquer la pensée d’Ernst Jünger. Comme le philosophe qui le précédait, Ernst Jünger était mû par l'éthique guerrière et aristocratique et allait éprouver une méfiance envers la raison et certaines conséquences de la pensée des Lumières.
C’est lors de cette Grande Guerre formatrice – « Le combat est notre Père », formule qu’Ernst Jünger reprend à Héraclite -, dans ces paysages de feu et de sang que l’officier avait commencé à structurer sa pensée par écrit. A partir de 1920, le jeune vétéran devait livrer, dans ce qu’il appela son Ancien Testament qui couvre les treize premières années de sa production, une geste en cinq ouvrages à teneur autobiographiques - dont Orages d’Acier, édité en 1920, est le plus célèbre - puis des articles séditieux destinés à embraser la société civile ; ces derniers parurent dans des organes extrémistes. Si Jünger avait vécu dans sa chair l’expérience épique et cruelle du titanesque combat qui opposa les Empires, il se distingua de nombre de ses contemporains par un discours apologétique de la guerre, affirmant avoir vécu dans un monde « fabuleux » dominé non par l’intérêt mais par le destin[5]. Le jeune homme comme d’autres officiers des troupes de choc dont il faisait partie avait ressenti de la sérénité face au danger ou à la mort ; n’était-ce pas l'attitude des « hommes sans crainte » que Nietzsche avait annoncé dans le Gai Savoir[6]? Ernst Jünger assurait que cette guerre n’avait pas été la fin mais le prélude de la violence, qu’elle avait été cette forge dans laquelle le monde est martelé en de nouvelles frontières et de nouvelles communautés[7]. Avec nombre des acteurs anonymes de la Grande Guerre, Ernst Jünger partageait la conviction d’avoir œuvré dans les tranchées à la douloureuse délivrance du XIXe siècle, d’avoir assisté à la mort de l’esprit d’un monde.
Nietzsche avait enseigné la volonté de puissance, le vouloir-vivre, une grande santé… Dans le monde languissant du juste avant-guerre qui avait prôné le culte de l’esprit et de l’intellect, la guerre avait pour Ernst Jünger régénéré le processus social en favorisant le retour des puissances ataviques, montrant combien le présent avait été en gestation dans un état antérieur et sauvage. Avoir vécu l’ivresse des forces élémentaires légitimait pour Ernst Jünger dans les années 20 les revendications du pouvoir élitiste. Les mots « sang » et « vie » se répètent dans les écrits jüngeriens pour devenir parfois titre de livre comme Feu et Sang[8] et affirmer le vouloir-vivre. Jünger expliquait alors la croissance et la mort des organismes vivants - êtres humains ou sociétés - par le concept de nécessité et d’adéquation à la vie. En 1927, Ernst Jünger devait emprunter pour débuter son propos les paroles de Zarathoustra : « Ecris avec du sang et tu apprendras que le sang est esprit. »[9]. La parole poétique du philosophe était devenue réalité pour toute une génération qui avait payé l’impôt du sang. Dans Le Boqueteau 125, Jünger affirme que « Ce n'est que du sang que l’histoire, l’honneur, la fidélité, la virilité, la patrie, ces grands concepts qui paraissent froids et dépourvus d’âme sous l'éclairage changeant de l’entendement, obtiennent leur force vitale »[10].
Hostile à la modernité dogmatique, Jünger refusait l’héritage de l’esprit issu des Lumières, étranger selon lui à l’âme allemande. Nietzsche qui avait mis un point final au chapitre du Christianisme et annoncé l’achèvement d’une pensée chrétienne sécularisée, avait réintroduit en lieu et place de l'égalité égalisante une vision anti-égalitaire et anti-démocratique ; il avait affirmé la différence fondée sur le caractère et le potentiel inné entre les êtres humains. Le bonheur était possible à condition de se détacher du passé et de se libérer des projections du futur, de vivre pleinement l’instant présent, en fait d’accepter la réalité de la vie héroïque. La concordance des pensées est ici évidente. La génération, née du « feu et du sang », devait viser la conquête de l’homme complet, l’instauration de nouvelles hiérarchies de valeurs. Les soldats avaient généré une élite qui avait restauré le sens original de l’aristocratie par le service des armes et le prix de leur vie. Les lansquenets du XXe siècle, qu’ils fussent volontaires, aventuriers, mercenaires, se voyaient comme le fer de lance d’un nouveau type humain qui devait s’étendre à toute l’Europe et, à en lire Ernst Jünger en Allemagne, ils devaient porter le nouveau nationalisme[11]. L’éthique de cette aristocratie de demain correspondait à celle des seigneurs énoncée par Friedrich Nietzsche ; elle s’opposait aux plates valeurs de la plèbe et du monde bourgeois dont les tristes représentants avaient les sens anesthésiés par la mortelle tiédeur de la démocratie parlementaire ou par la griserie que procure le pouvoir. Pire encore, ce monde bourgeois portait les valeurs des peuples vainqueurs. Le Bourgeois devint ainsi cet ennemi qu’il fallait traquer dans cette Allemagne vaincue et humiliée par le Traité de Versailles, et dans cette traque on retrouve encore l’influence de la conception nietzschéenne de l’histoire. De celle-ci, on peut retenir trois mythèmes structurels : celui de l’Eternel Retour[12], qui nous intéressera moins ici, celui du Dernier Homme, et celui du Surhomme. Ces trois mythèmes se retrouvent également dans l’œuvre de Jünger, parfois même à peine nuancés. Le Dernier Homme nietzschéen qui constitue pour l’humanité la menace par excellence, n’est-ce pas le Bourgeois, tel que le présente Jünger dans ses articles publiés entre 1925 et 1932 ? Ce type humain, étranger par essence au Surhomme, souhaite un bonheur douillet, égal pour tous. Il espère la fin de l’histoire, car elle est génératrice d’événements, tels les guerres, les tensions politiques et internationales, tout ce que ne préconise pas Zarathoustra ! Friedrich Nietzsche et, dans sa suite, Ernst Jünger refusent le bonheur nauséabond du Dernier Homme qui est, en outre, le successeur du bourgeois, le produit de l’athéisme égalitaire, rationaliste et socialiste. Néanmoins, il serait injuste de n’éclairer dans cette relation d’influence intellectuelle que les points de convergence reliant Ernst Jünger à Nietzsche. Le jeune auteur d’alors s’éloigne du philosophe, beaucoup trop complexe et paradoxal, en taisant par exemple le fait que Nietzsche avait reconnu l’influence des Lumières dans Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux[13]. Le Bourgois est, selon Nietzsche, pris entre deux mondes catégoriels. Par monde catégoriel, comprenons un type de société comme il existait avant la Révolution Française, avec rois et guerriers, prêtres et paysans ; le bourgeois y mène alors une existence hypothétique et ne bénéficie que d’une simple reconnaissance[14]. La Révolution françaises a renversé définitivement cet ordre des choses. Cette destruction s’explique par le fait que le Bourgeois, mû par un causalisme plébéien, cherche à tout remettre en question, à chercher un sens, un but, une justification de l’absolu. Pour Nietzsche, les valeurs de l’ancien monde catégoriel sont définitivement mortes ; le philosophe ne les a jamais attaquées. Celles du monde à venir seront marquées par le post-positivisme, car il faudra penser jusqu’au bout le causalisme.
Nietzsche Académie - Jünger était-il nietzschéen ? (Il fait référence au Surhomme dans "Eumeswil" et "Héliopolis").
Isabelle Grazioli - Ernst Jünger était-il nietzschéen ? La réflexion d’Ernst Jünger sur l’œuvre de Nietzsche fut longue, presque autant que sa longue vie de 103 ans. L’approche qu’il put en avoir a nécessairement évolué au fil des décennies. De même que l’« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » pour reprendre l’une des formules d’Héraclite, on ne saurait lire et comprendre une œuvre de manière immuable car vivre implique changements et multiples renaissances… La réponse que l’on peut apporter est plus complexe. N’oublions pas qu’à partir des années 1933, Ernst Jünger et son frère Friedrich Georg se retirèrent de plus en plus de la scène berlinoise, que leur pays allait connaître une autre défaite militaire, marquant dans un cataclysme de feu la fin du Troisième Reich, que cette Seconde Guerre destructrice allait réclamer un terrible tribut humain dans leur famille, ainsi -mais entre autres - le fils aîné Ernstel, mort au combat en Italie, sur les falaises de marbre de Carrare.
La souffrance personnelle endurée dans les tranchées puis au revenir de la Grande Guerre devait permettre une première métamorphose intellectuelle d’Ernst Jünger et le rapprocher de la réflexion de Friedrich Nietzsche. Dans la Naissance de la Tragédie, Nietzsche souligne les horreurs de l’histoire et les conçoit comme provocations qui incitent le Faible à nier la vie et le Fort à créer quelque chose de beau. Dans Avantages et désavantages de l’Histoire, Nietzsche analyse la valeur de l’historique et du non-historique dans leurs rapports au bonheur et à la souffrance. Dans le Gai Savoir, Par Delà le Bien et le Mal, La généalogie de la Morale, Nietzsche a mis en évidence la qualité fondamentale de l’expérience de la souffrance pour une anthropologie du futur[15]. Cette théodicée de la souffrance qui culmine dans La volonté de Puissance se retrouve dans les conceptions jüngeriennes et, par voie de conséquence, dans ses écrits, ainsi dans la première version du Cœur Aventureux (1929), dans l’essai La Souffrance/Über den Schmerz (1934) qui confirme la perspective historico-temporelle des images d’effroi. L’horreur qui perce soudainement l’univers raisonnable se fonde sur un diagnostic et un pronostic des développements de la société moderne.
La question soulevée mentionne les romans Heliopolis (1949) et Eumeswil (1977). Or bien avant leur rédaction, Ernst Jünger avait fait de nombreuses références au philosophe dans le récit allégorique et matrice de ses autres romans, Les Falaises de marbre (1939), un petit écrit de résistance à son temps, récit tout à la fois poétique et épique, la première des cités-laboratoires où l’auteur isole des cellules s’attaquant au tissu social, afin de mieux montrer le processus de cancérisation. Le drame qu’il y dépeint et dont le thème est au cœur même du problème de la modernité, marque l’affrontement du despotisme brutal et de l’esprit, de l’arbitraire et du droit, de l’absence de lois et de la liberté. L’histoire du monde étant celle de l’homme dans la cité[16], Ernst Jünger détaille les malheurs d’une cité rongée par la décadence et où se désagrègent l’autorité spirituelle, l’armature hiérarchique et militaire, le rempart de la langue réduite au rang d’une technique de communication, bref une cité incapable de se défendre bientôt livrée à des hordes barbares et manipulées. Friedrich Nietzsche y apparait sous le déguisement littéraire de « Pulverkopf », de « Boutefeu » que Jünger réutilise à plusieurs reprises jusque dans son tardif roman Eumeswil (1977). Un surnom se fondant sur un texte de Nietzsche écrit vers 1888 où il dit de lui-même être non un homme mais de la dynamite[17]. Nietzsche s’inscrivait aussi dans cette modernité dont les contemporains les plus lucides allaient bientôt apprendre à se méfier ; si Alfred Nobel avait inventé l’explosif en 1866, le philosophe avait quant à lui bouté le feu à la civilisation européenne des XIXe et XXe siècles. Néanmoins, le scandale qu’il avait annoncé était la mort de Dieu[18] et ses conséquences, dont cette montée prévisible du nihilisme. Rappelons ici que le nihilisme atteint par essence la fonction la plus haute de l’homme, à savoir son lien à la transcendance, à l’absolu. Il s’agit de la dévalorisation des valeurs suprêmes, la perte de tout contact avec une réalité métaphysique : « Que signifie le nihilisme ? Que les valeurs supérieures se déprécient. Il manque le but. Il manque la réponse au pourquoi. »[19]. L’emploi de ce déguisement littéraire permet de comprendre le cheminement intellectuel d’Ernst Jünger, sa proximité et sa dette intellectuelle mais aussi de saisir toutes les nuances critiques ou les divergences de ses convictions avec celles de Nietzsche.
Dans ce roman apparaissent des personnages qui hantent l’imaginaire d’Ernst Jünger, les Maurétaniens. Après une courte apparition dans Le Cœur aventureux (1938), ils occupent une place importante dans Les Falaises de Marbre, reviennent dans Héliopolis (1949) et ressortent du silence en deux courtes allusions pour un public averti lors de la rédaction d’Eumeswil (1977). Ils se manifestent la première fois en 1938 quand, d’une manière à peine voilée, Ernst Jünger analyse ses activités extrémistes lors de la République de Weimar et souligne les insuffisances des mouvements activistes ; à l’enseignement d’un maître Nigromontanus qui ouvrait son élève à la voie spéculative et à l’éternité, le narrateur a préféré la voie de l’action, celle que choisissent les hommes obsédés par les préoccupations politiques et concrètes. « Il est hélas vrai que j’oubliai ses instructions bien trop rapidement. Au lieu de persévérer dans mes études, j’entrai chez les Maurétaniens, ces polytechniciens subalternes du pouvoir. » [20]. Ernst Jünger les présente comme les adeptes d’une société secrète avide de pouvoir qui les abriterait au-delà des querelles de partis ou de critères moraux, une loge destinée à protéger les intérêts communs. L’origine du terme rappelle l’un des contes préférés d’Ernst Jünger dans Les Mille et Une Nuits ; celui de la lampe merveilleuse où un Maure, magicien sans scrupules mais homme de grand savoir, demande à Aladin de lui quérir une lampe au fond d’une grotte…. Toutefois une phrase de Friedrich Nietzsche a présidé à la naissance de ce groupe : « Lorsque les Croisés se heurtèrent en Orient sur cet invincible ordre des Assassins, sur cet ordre des esprits libres par excellence, dont les affiliés de grades inférieurs vivaient dans une obéissance telle que jamais ordre monastique n’en connut de pareille, ils obtinrent, je ne sais par quelle voie, quelques indications sur le fameux symbole, sur ce principe essentiel dont la connaissance était réservée aux dignitaires supérieurs, seuls dépositaires de cet ultime secret :’ Rien n’est vrai, tout est permis’ » …[21] Les « Haschischins », ces fumeurs de haschichs, organisés en société secrète dès le Xe siècle, étaient réputés et craints pour leur fidélité inconditionnelle à leur chef, le Vieux de la Montagne protégé en sa forteresse d’Alamut ; leur obéissance acceptait même l’idée de se tuer sur son ordre. Nietzsche retient comme caractéristique de ce groupe le cynisme de son élite, à laquelle tout est permis car elle nie toute chose et d’autre part, la subordination aveugle, le fanatisme du reste des adeptes. Les Maurétaniens d’Ernst Jünger, manipulateurs et nullement préoccupés par le sens moral, ne conçoivent que des rapports de force ; ils représentent un nihilisme actif et sont animés par la volonté de puissance, un thème bien nietzschéen. C’est ainsi que dans les Falaises de marbre, Ernst Jünger dresse le profil d’un archétype nihiliste, le Maurétanien Braquemart, qui fuit la réalité et cherche des dérivatifs exotiques à ses ambitions ou à ses insuffisances. La philosophie qui sous-tend sa pensée le présente comme un élève parfois médiocre de Friedrich Nietzsche. Adepte de la théorie du Surhomme, Braquemart à l’intelligence sèche, froide et sans racines imagine la structure sociale, polarisée en deux races, celle des seigneurs et celle des esclaves, qui doit cesser d’être ce lieu où se mélangent les deux groupes humains. Le caractère utopique de cette pensée inégalitaire est le produit de l’intelligence aigüe d’un homme qui a forcé la vision du pouvoir du vieux « Pulverkopf » dans le cadre d’un système utopique. La conception du Surhomme qui suppose un processus de nivellement assez avancé, apparaît quand l’homme est vidé de son sens. L’effondrement des ordres séculaires, des valeurs et des hiérarchies ne le brise pas car c’est lui qui donne rang et valeur aux choses. Pour les Maurétaniens, l’homme est calculable. Jünger s’est donc éloigné de ces théories ou du moins la manière avec laquelle on les percevait dans les années 1930 et il en montre même la grossièreté : pour qualifier la figure de Braquemart, Ernst Jünger recourt en effet à deux reprises à l’adjectif « grobdrähtig », grossier, ce qui précise la texture de son être et de sa pensée.
Nietzsche Académie - Quelle figure (Gestalt) théorisée par Ernst Jünger se rapproche le plus du Surhomme, Le Travailleur, le Guerrier, l'Anarque, le Rebelle (Waldgänger) ?
Isabelle Grazioli - Intéressons-nous maintenant aux grandes Figures pensées par Ernst Jünger ! Une Figure donne tout son sens à une époque déterminée, en quelque sorte sa signification, et la marque à la manière d’un sceau. Les figures d’Ernst Jünger sont des modèles, mais pas à la manière de l’idée platonicienne, qui est éternelle. La « figure » de Jünger n’est donc pas éternelle, mais historique. Il y a toujours lutte parmi les Figures et celle qui est victorieuse, s’impose et remplace celle qui est vaincue. L’Histoire se transforme avec la Figure qui semble être indépendante du facteur Temps. Dans le Traité du Rebelle, Ernst Jünger remarque la pauvreté de notre époque en grands hommes, mais sa richesse en Figures ; lui-même en a proposé un certain nombre : celle du Travailleur, du Soldat Inconnu, du Rebelle, de l’Anarque. Ces Figures vont presque par paires, puisque l’écart entre ces deux fils de Gaïa que sont le Travailleur et le Soldat Inconnu est des plus faibles. L’Anarque poursuit l’idée contenue dans l’élaboration du Rebelle. Ce que le lecteur ne peut perdre de vue pour éviter le danger de la simplification, c’est que la réflexion d’Ernst Jünger se déroule pendant plusieurs décennies, livre après livre.
Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche promeut son idée du Surhomme. La puissance qui dirigeait jusqu’alors la vie des êtres humains - le Dieu des sociétés européennes - est morte ou n'a jamais existé ; en raison de cette disparition, les hommes devenus orphelins et désorientés perdent en substance et en superbe. Or, pour Friedrich Nietzsche, l’homme peut par une destruction contrôlée de lui–même s’améliorer et, dans un formidable élan vital, se dépasser. Le Surhomme est ainsi une nouvelle forme de vie qui doit procéder de l'homme et s'élever au-dessus de lui. Dans ce monde nouveau, le Surhomme est censé avoir soumis puis dépassé l'homme de la même manière que l'homme de notre époque a dépassé l'animal. Le Surhomme se caractérise par la conjugaison de la pensée et de la création, par la représentation d'un statut conquis par soi-même, indépendamment des autres hommes, et en même temps par une insertion dans la conception cyclique du monde, c'est-à-dire dans la répétition constante de l'histoire ou des formes de vie. Le Surhomme, animé par la Volonté de Puissance, est profondément seul. Les Figures que devait offrir Ernst Jünger à son lectorat sont toutes parentes du Surhomme, mais elles se sont imposées à lui à différents moments de sa vie.
Le Guerrier que définit Ernst Jünger au retour des grands combats a affirmé les forces intrinsèques à sa personnalité, le vouloir-vivre et la volonté de puissance. En lui s’affrontent les puissances élémentaires, des forces passives et actives, les pulsions de mort et de vie, qui vont du meurtre à l’Eros. Son quotidien est fait d’audace et d’énergie, de révolte, d’amour du danger, de l’habitude de la témérité. Pourtant, dans ce vitalisme, le guerrier n’est pas épargné par les impressions récurrentes d’horreur – das Grauen- terme si présent dans les écrits d’Ernst Jünger et qui montre combien ce sentiment est lié certes à la peur de la mort, mais aussi à l’absence totale de but et de raison. Le Guerrier malgré cela sera toujours prêt à faire le choix d’Achille, à choisir une vie pleine : « Il est profondément significatif de voir que c’est justement la vie la plus vigoureuse qui se sacrifie le plus volontiers. Il est préférable de sombrer comme un météore étincelant que de s’éteindre en tremblant. » [22]. N’est-il pas soumis, de par l’issue des combats, à une hiérarchie impitoyable, au principe de sélection naturelle dans une ordalie suprême ? Comme le rappelle Ernst Jünger dans ses premiers ouvrages de guerre, le combat est une aventure immémoriale, le Guerrier un être intemporel, relevant de toutes les époques. Même s’il est le fils d’une société démocratique, fondée sur des lois humanistes, comme ce fut le cas d’Ernst Jünger et des hommes de sa génération… « Le caractère sauvage, brutal, la couleur vivre des instincts s’est certes poli, dégrossi et atténué dans les millénaires durant les quels la société a réfréné les envies et les désirs subits. Certes, le raffinement croissant l’a décanté et ennobli, cependant l’animalité sommeille toujours sur le fondement de son être. » [23]. Le guerrier, un surhomme ? Ce que montre le jeune Ernst Jünger d’alors, c’est la conquête de l’homme complet sur lui-même, d’un homme porteur de liberté, parce qu’à la différence du soldat, il choisit à tout moment ses allégeances.
Qu’en est- il du Travailleur tel qu’Ernst Jünger l’a exposé dans son traité éponyme de 1932[24]? Les lecteurs d’alors se sont demandé si « la grande politique » que Friedrich Nietzsche avait annoncée comme l’épanouissement de la volonté pour le siècle à venir, se réalisait dans l’effort du Travailleur, type actif et guerrier; mais on ne saurait perdre de vue le contexte historique et intellectuel précis. Ernst Jünger remplace la quête du bonheur telle qu’elle a pu être connue avant 1914 par la réalité d’un réalisme héroïque, car sous les ruines de l’actuelle décadence se trouvent les germes d’une vie plus pleine, la promesse de l'action créatrice de l’homme. D’après Ernst Jünger, la Figure du Travailleur, vision archétypale perçue en 1930, va se confondre avec le soldat. La technique qui a marqué l’avènement d’une nouvelle ère va se radicaliser ; pour l’homme, elle sera libératrice ou opprimante suivant son degré d’adéquation aux nouvelles réalités. Le Travailleur est ainsi compris comme un phénomène d’ordre planétaire, dans des sociétés industrielles modernes. Le but du Travailleur n’est pas de promouvoir le mythe du progrès continu mais d’assurer sa puissance par la technique, outil pour « mobiliser » le monde[25] car il s’agit de le réorganiser par et pour une nouvelle humanité, devenue essentielle ; au nombre des conséquences, notons l'inégalité sociale des hommes et l’organisation pyramidale de l’Etat correspondant à une hiérarchie militaire. La technique sera le moyen pour assurer la dictature de la nouvelle élite. Le Surhomme est l’être qui mène une vie puissante comme fin en soi et il accepte l’idée qu’aucune intervention autre que sa propre légitimité ne lui confère de sens et c’est en cela que le Travailleur lui est proche. La volonté de puissance nietzschéenne est ainsi présente dans le traité d’Ernst Jünger, elle est en revanche dépouillée de ses aspects romantiques et de ses traits positivistes et biologistes. Ernst Jünger les a remplacés par la notion de travail. Cette grande Figure d’un orgueilleux homme–titan correspond-elle véritablement à la pensée de Friedrich Nietzsche ? Comment oublier sa mise en garde lorsqu’il affirmait que l’Etat est le plus froid des monstres froids[26] ? Ce n’est pas un hasard si, des décennies plus tard, Ernst Jünger a fait correspondre à son traité Le Travailleur l’essai LeMur du Temps (1959) qui reprend la figure du Travailleur et qui constitue une réflexion poussée sur le mythe et l’histoire. Et il très révélateur que dans le tardif Eumeswil, Ernst Jünger rappelle que « Les Titans restreignent la liberté, les dieux en font cadeau »[27].
Les deux autres figures citées, le « Rebelle » et l’Anarque, sont visualisées par un père endeuillé qui n’est pas dans l’effervescence de l’histoire mais qui a appris à poser sur son époque inconfortable un regard critique et peu à peu serein. Quelles leçons tirer après la chute du Troisième Reich, la fin de la Seconde Guerre mondiale dans une puissance de feu jusqu’alors inégalée ? Quel lot de souffrances après l’atomisation d’Hiroshima et de Nagasaki ? Que dire de cette mort en masse orchestrée par des polytechniciens du pouvoir ? Comment analyser la Guerre Froide qui s’était installée en Europe et dans le monde avec des conséquences sur sa propre vie ? Ernst Jünger a acquis la certitude qu’un monde libre ne peut-être qu’un monde spirituel[28] car la crise que connait l’homme moderne est en grande partie de nature religieuse ; elle marque la prise de conscience d’une totale absence de sens. Ernst Jünger comprend alors l’histoire de l’homme comme le lieu d’affrontement dialectique de la liberté. Cet affrontement, il le projette à l’intérieur de chaque être : en chacun de nous se disputent âprement la liberté et la tyrannie, les mythiques représentations de l’Est et de l’Ouest jüngerien. La démarche des deux figures est avant tout individualiste et spirituelle. Dans les deux cas, le cheminement intellectuel implique de quitter les sentiers battus et de rechercher l’inconfort et l’insécurité, d’accepter d’être le proscrit, banni de sa communauté d’origine pour s’avancer seul dans les forêts, « vogelfrei’ – libre comme l’oiseau – mais plus protégé par les lois. Dans le Traité du Rebelle (1951), le Rebelle est celui qui assure la désobéissance civile à l’époque de la domination parlementaire, l’histoire de l’humanité est déraisonnable, irrationnelle, faite de hasards. Il connait l’angoisse du monde moderne, amnésique et déraciné. Dans les deux cas, l’homme droit recourir à la réflexion et à l’écriture, pour échapper aux Titans et aux Cyclopes, aux souffrances liées à la posthistoire.
La dernière figure présentée en 1977, l’Anarque, celle d’un Historien-né vivant dans une cité monotone et stérile qui ne sait même plus enfanter son avenir ; Eusmeswil, c’est l’histoire après l’histoire. Le seul enfant dont il est question vit dans le souvenir du narrateur, l’Anarque, mémoire endeuillée par la mort précoce de la mère qui emporta avec elle la vie de la maison. On ne saurait être plus explicite ! Pourtant, le roman Eumeswil se lit comme une épopée philosophique. La substance de la cité s’est épuisée, obéissant à l’ordre logique de la décroissance. Le pessimisme culturel et le scepticisme priment et dominent cette vision du monde. Le protagoniste Martin Venator se tient à l’écart de toute action politique. Cette distance n’est pas la passivité, mais l’indifférence aux multiples formes de gouvernement qui se voit confirmée dans la lucidité de l’Anarque. Le pouvoir de l’histoire est d’agencer la mort, de tenir la chronique des souffrances, des peines et des lamentions, de faire le compte en dernière analyse d’un néant. La fonction d’historien est conçue comme celle d’un poète tragique car « en dernière analyse, il a affaire à la mort et à l’éternité » [29]. L’Anarque, c’est l’homme véritablement libre ; il sait que la volonté de supprimer toute situation conflictuelle est impensable. Il n’attend rien d’une puissance supérieure dont il doute de l’existence. La nostalgie du passé lui est étrangère : « D’ailleurs, il est faux de dire que j’attends le retour du passé comme Chateaubriand ou, comme Boutefeu, l’éternel retour ; je laisse cette marotte en politique aux conservateurs et, dans l’espace cosmique aux astrologues ». [30]. S’il a un vouloir, c’est d’épouser la « volonté de la Terre ». Quand on est conscient de vivre en temps d’Interrègne, sur une ligne de partage des temps, que faire si ce n’est d’affronter encore et toujours le danger ! De vaincre la peur en soi ! Et dans le cas de l’Anarque, de quitter un temps l’histoire et de retrouver le monde du mythe ! Dans le Traité du Rebelle, Ernst Jünger devait rappeler :« On ne retourne pas dans le monde du mythe ; on le rencontre à nouveau, quand le temps chancelle sur ses structures et sous l’influence du danger le plus grand ! »[31]. C’est bien pour cela que l’Anarque Martin Venator quitte la cité, symbole de l’histoire, pour s’avancer dans le monde du mythe, les forêts, dans l’attente d’une nouvelle Isis à naître !
[1] Le terme « Bildungsbürgertum » (bourgeoisie cultivée) désigne aux XIXe et au XXe siècles une élite culturelle au sein de la bourgeoisie qui pensait que le prestige social primait sur la prospérité économique. Ses membres, généralement issus des milieux « protestants » et de formation universitaire, suivaient des cursus similaires - éducation humaniste, littéraire, juridique, scientifique -, ce qui favorisait l’entre-soi ; ce groupe social influent qui comprenait des juristes, des professeurs des universités et des lycées, des pasteurs… valorisaient l'engagement au service de l'État et de la société.
[2] Fischer Hugo, Nietzsche Apostata oder die Philosophie des Ärgernisses, 1931, 313 pages.
[3] Jünger Ernst, Sämtliche Werke, Dritte Abteilung, Bd. 17., Klett-Cotta, 1980 Eumeswil, p. 59 « Vom Philosophen wird ein System erwartet…Wer uns denken lehrt, macht uns zum Herrn über Menschen und Tatsachen. ».
[4] Nietzsche Friedrich, Werke I Schlechta, « Schopenhauer als Erzieher », p. 341.
[5] Jünger Ernst in Standarte, 12.08.1926, Jg. 1, Nr. 20,: « Vom absoluten Kühnen »/Du téméraire absolu.
[6] Nietzsche Friedrich, Die Fröhliche Wissenschaft, Livre 5, « Wir Furchtlosen », 1882.
[7]Jünger Ernst in Die Standarte, Beiträge zur geistigen Vertiefung des Frontgedankens. Sonderbeilage des Stahlhelm. Wochenschrift des Bundes der Frontsoldaten, Magdeburg, 4., JG 1928, p. 271-275, article « Feuer »/Feu : «Dieser Krieg ist nicht das Ende, sondern der Aufktakt der Gewalt. Er ist die Hammerschmiede, in der die Welt in neue Grenzen und neue Gemeinschaften geschlagen wird. ».
[8] Jünger Ernst, Feuer und Blut. Ein kleiner Ausschnitt aus einer groβen Schlacht, Stahlhelm-Verlag, Magdeburg, 1925. Feu et Sang - Bref épisode d'une grande bataille.
[9] Jünger Ernst, in Widerstand, 03.04. 1927, article « Vom Geiste »/(De L’Esprit), « Schreibe mit Blut und du wirst erfahren, daβ Blut Geist ist. »
[10] Jünger Ernst, Das Wäldchen 125 - Eine Chronik aus den Grabenkämpfen 1918, Berlin, Mittler-Verlag,1925 « Nur aus dem Blute empfangen die groβen Begriffe : Geschichte, Ehre, Treue, Männlicheit, Vaterland, die in der wechselnden Beleuchtung des Verstandes kalt und seelenlos erscheinen, ihre lebendige Kraft. ».
[11] Jünger Ernst in Standarte, Jg. 1, Nr3, 15.04.1926 article « Der Aufmarsch », p. 55 : « Wir ahnen das Auftreten dieses Menschenschlages bei allen Völkern Europas, denn wie der Krieg nicht den Deutschen allein traf, so ist auch der neue Nationalismus eine Folge, die sich auf Deutschland beschränkt. »
[12] Nietzsche, Friedrich, Schlechta II, Also sprachZarathustra, p. 463 « Alles geht, Alles kommt zurück; ewig rollt das Rad des Seins. Alles stirbt, Alles blüht wieder auf, ewig läuft das Jahr des Seins.Alles bricht, Alles wird neu gefügt; ewig baut sich das gleiche Haus des Seins. Alles scheidet, alles grüsst sich wieder; ewig bleibt sich treu der Ring des Seins. » : « Tout va, tout revient ; la roue de l’existence tourne éternellement. Tout meurt, tout refleurit, éternellement coulent les saisons de l’existence. Tout se brise, tout se reconstruit ; éternellement se bâtit la même maison de l’existence. Tout se sépare, tout se salue de nouveau ; l’anneau de l’existence se reste éternellement fidèle à lui-même. ». La notion de cycle se retrouve dans l’œuvre de Jünger avec les images naturelles de la vie « Keimen, Blühen , Vergehen », soit germination, floraison et dépérissement.
[13] Nietzsche Friedrich , Morgenröte.Gedanken über die moralischen Vorurteile, 1881.
[14]Der Arbeiter, 37 : « Der Bürger aber gehört nicht den Gestalten an, daher friβt ihn die Zeit, auch wenn er sich mit der Krone des Fürsten oder mit dem Purpur des Felherrn schmückt ». : Le Bourgeois, en revanche, n’appartient pas aux Figures ; c’est pourquoi le temps le ronge, même s’il se pare de la couronne du prince ou de la pourpre du chef de guerre .
[15] Nietzsche, Friedrich: Schlechta II, « Götzen-Dämmerung oder wie man mit dem Hammer philosophiert », p. 1031, « In der Mysterienlehre ist der Schmerz heilig gesprochen: die »Wehen der Gebärerin« heiligen den Schmerz überhaupt, – alles Werden und Wachsen, alles Zukunft-Verbürgende bedingt den Schmerz... Damit es die ewige Lust des Schaffens gibt, damit der Wille zum Leben sich ewig selbst bejaht, muß es auch ewig die »Qual der Gebärerin« geben »... « Dans les enseignements à mystères, la souffrance est sanctifiée : ‘ les douleurs de la femme qui enfante’ consacrent en somme la souffrance – tout devenir et toute croissance, tout ce qui garantit l’avenir- exige la souffrance… Afin qu’il y ait le plaisir éternel de création, que la volonté de vivre s’affirme elle-même continuellement, il faut qu’à jamais il y ait le supplice de celle qui enfante. »
[16] Spengler Oswald, Der Untergang des Abendlandes.Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte, Bd.2, München, 1919, dritte unveränderte Auflage, Welthistorische Perspektiven, S. 106-111, «Weltgeschichte ist die Geschichte des Stadtmenschen. ».
[17] Nietzsche Friedrich: Werke in drei Bänden, München, 1954, Bd 2. Ecce Homo « Warum ich ein Schicksal bin »! « Ich kenne mein Los. Es wird sich einmal an meinen Namen die Erinnerung an etwas Ungeheures anknüpfen – an eine Krisis, wie es keine auf Erden gab, an die tiefste Gewissens-Kollision, an eine Entscheidung, heraufbeschworen gegen alles, was bis dahin geglaubt, gefordert, geheiligt worden war. Ich bin kein Mensch, ich bin Dynamit.». « Pourquoi je suis un destin. Je connais mon sort. Un jour, mon nom sera associé au souvenir de quelque chose de prodigieux – à une crise comme il n'y en eut jamais sur terre, à la plus grande collision des consciences, à un verdict rendu contre tout ce qui avait été cru, exigé, sanctifié jusqu'alors. Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite. »
[18] Nietzsche, Friedrich: Schlechta II, Die fröhliche Wissenschaft, pp. 126-128 « Der tolle Mensch. – Hören wir noch nichts von dem Lärm der Totengräber, welche Gott begraben? Riechen wir noch nichts von der göttlichen Verwesung? – auch Götter verwesen! Gott ist tot! Gott bleibt tot! Und wir haben ihn getötet! Wie trösten wir uns, die Mörder aller Mörder? Das Heiligste und Mächtigste, was die Welt bisher besaß, es ist unter unsern Messern verblutet – wer wischt dies Blut von uns ab? Mit welchem Wasser könnten wir uns reinigen? » N’entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ? — les dieux, eux aussi, se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau — qui effacera de nous ce sang ? Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ?
[19] Nietzsche Friedrich, Werke, Schlechta III, « Aus dem Nachlass der achtiziger Jahre », p. 557 : «Was bedeutet Nihilismus ? Daβ die obersten Werthe sich entwerten. Es fehlt das Ziel, es fehlt die Antwort aud das « Wozu ? ».
[20] Jünger Ernst, Das abenteuerliche Herz 2, p. 138 ; « Es ist leider richtig, daβ ich seine Lehre allzubald vergaβ. Statt bei meinen Studien zu verweilen, trat ich bei den Mauretaniern ein, diesen subalternen Polytechnikern der Macht. ».
[21] Nietzsche Friedrich, Zur Genealogie der Moral chap. 24, « Als die christlichen Kreuzfahrer im Orient auf jenen unbesiegbaren Assassinen-Orden stießen, jenen Freigeister-Orden par excellence, dessen unterste Grade in einem Gehorsame lebten, wie einen gleichen kein Mönchsorden erreicht hat, da bekamen sie auf irgendwelchem Wege auch einen Wink über jenes Symbol und Kerbholz-Wort, das nur den obersten Graden, als deren secretum, vorbehalten war: ‘’Nichts ist wahr, alles ist erlaubt’’... »
[22] Jünger Ernst Der Kampf als inneres Erlebnis (Le combat comme expérience intérieure), Berlin, Mittler und Sohn,1922,p. 60 : « Es ist von sehr tiefer Bedeutung, daβ gerade das kräftigste Leben sich am willigsten opfert. Besser ist es, unterzugehen wie ein zersprühender Meteor, als zitternd zu verlöschen. »
[23] Jünger Ernst Der Kampf als inneres Erlebnis,p.37 : « Zwar hat sich das Wilde, Brutale, die grelle Farbe der Triebe geglättet, geschliffen und gedämpft in den Jahrtausenden, in denen die Gesellscahft die jähen Begierden und Lüste gezäumt. Zwar hat zunehemnde Verfeinerung ihn geklärt und veredelt, doch immer noch schläft das Tierische auf dem Grunde seines Seins. »
[24] Jünger Ernst : Der Arbeiter. Herrschaft und Gestalt, Hamburg, 1932. La première édition, comportant 5000 exemplaires, fut vite épuisée. Trois nouveaux tirages devaient suivre ce qui prouve combien le livre fut alors un événement politique.
[25]Der Arbeiter, p. 150 : « Die Technik ist die Art und Weise, in der die Gestalt des Arbeiters die Welt mobilisiert » : « La Technique est l’art et la manière dont la figure du Travailleur mobilise le monde »
[26] Nietzsche Friedrich, Also sprach Zarathustra, Erster Teil. Die Reden Zarathustras, 1883. Vom neuen Götzen « Staat heißt das kälteste aller kalten Ungeheuer. Kalt lügt es auch; und diese Lüge kriecht aus seinem Munde: „Ich, der Staat, bin das Volk.“ / Des nouvelles idoles. « L’Etat est le plus froid des monstres froids. Il ment aussi froidement ; et voici ce mensonge qui rampe de sa bouche : ‘’Moi, l’Etat, je suis le Peuple. »
[27] Jünger Ernst, Eumeswil, Stuttgart, 1977, p.385 : « Die Titanen beschränken die Freiheit, die Götter gewähren sie ».
[28]Antaios in Sämtliche Werke, p. 167 : « Eine freie Welt kann nur eine geistige sein ».
[29] Jünger Ernst, Eumeswil, p. 90 : « Das Amt des Historikers ist tragisch ; letzthin hat es mit Tod und Ewigkeit zu tun. »
[30] Jünger Ernst, Eumeswil, p. 110 : « Es ist übrigens nicht so, dass ich wie Chateaubriand Rückkehr oder wie Boutefeu Wiederkehr erwarte ; das überlasse ich politsch den Konservativen und kosmisch den Sternkundigen. ».
[31] Jünger Ernst, Der Waldgang , p. 330 : « Zum Mythischen kehrt man nicht zurück, man begegnet ihm wieder, wenn die Zeit in ihrem Gefüge wankt, und im Bannkreis der höchsten Gefahr ».
Tragédie étymologiquement veut dire chant du bouc, animal que l’on sacrifiait au dieu Dionysos avant chaque représentation dans la Grèce antique. Bruno Favrit, écrivain de sensibilité païenne, sacrifie doublement au dieu en publiant une tragédie intitulée Dionysos, irrésistible et insenséaux éditions du 26 octobre. Dionysos est un dieu incontournable pour comprendre la psyché profonde des Grecs anciens en particulier et des bons Européens en général. Favrit connaît ses classiques et en bon nietzschéen a lu La Naissance de la tragédie de Nietzsche. Il le souligne dans des propos liminaires : « Le seul penseur à avoir entrevu l’essentielle utilité du dieu sera Frédéric Nietzsche. (…) Nietzsche a bien compris à quoi encourage le dieu : à briser les carcans qui empêchent d’accéder à la connaissance de son moi profond et de tout ce qu’il peut exprimer. » Dionysos, dieu de la vigne et dieu conquérant, s’accorde mal avec l’image d’une civilisation apollinienne faite de clarté et d’ordre. Et pourtant comme l’a démontré Nietzsche et l’expose Favrit dans sa pièce, Dionysos est la folie consubstantielle à la vitalité grecque. La pièce, dans un savant mélange d’érudition et de dialogues vivants, met en scène Dionysos lui-même, le devin Tirésias, Até, la fille d’Héra qui porte la contradiction, le chœur des Bacchantes mais aussi à la fin de la pièce une cohorte d’écrivains et même Nietzsche pour parler du dieu de l’ivresse. L’ivresse est une des formes de la mania grecque, un viatique vers une sagesse supérieure qui délivre des rigueurs de la raison dégénérée en ratiocination sclérosante. Cela rejoint le concept de « grande santé » de Nietzsche, ce que rappelle Bruno Favrit quand dans la pièce il prête à Dionysos ces propos : « Un autre nom qui m’est donné est celui d’Hugiatès, « dispensateur de santé ». » La grande santé commande de dire oui à la vie dans sa complexité faite de pulsions et d’instincts sauvages. C’est pourquoi la pièce s’intitule Dionysos, irrésistible et insensé, car Dionysos est une affirmation de soi et de liberté pour devenir ce que l’on est et non pas ce que l’on doit être, un message hautement philosophique qui fait écho au « Deviens ce que tu es » de Pindare et Nietzsche et plus que jamais d’actualité en ces temps de confusion où l’Européen ne sait plus qui il est. On lira donc avec le plus grand intérêt la pièce de Bruno Favrit pour devenir ce que l’on est et vivre en bon Européen en grande santé. Evohé !
L’essai Le Chevalier, la Mort et le Diable de Jean Cau est publié en 1977. Cela fait vingt ans qu’il n’est plus le secrétaire de Jean-Paul Sartre et qu’il chemine vers son indépendance d’esprit tel un chevalier à cheval sur sa liberté. Il s’est éloigné de la gauche en particulier depuis les « évènements » d’Algérie. Dans un article publié le 24 août 1961 dans L’Express intitulé « L’amour des Arabes », Jean Cau critique les intellectuels de gauche militant pour l’indépendance de l’Algérie. Comme le soulignent Ludovic Marino et Louis Michaud, auteurs de la biographie Jean Cau, l’indocile, Jean Cau devient dès lors un apostat (de la gauche). La rupture sera consommée en 1965 avec un article publié dans Le Nouvel Observateur intitulé « Les Allemands sont des Allemands » où il dédouane les Allemands de la culpabilité du nazisme en faisant le parallèle avec les Français et la guerre d’Algérie. Jean Cau par ses prises de position devient tout en s’en défendant de droite. Mai 1968 achèvera de le faire basculer à droite en écrivant en réaction aux évènements un pamphlet intitulé Le pape est mort aux éditions de La Table ronde. Jean Cau devient généalogiste de la décadence et enchaîne les pamphlets comme en 1969 avec L’Agonie de la vieille et en 1973 avec Les Ecuries de l’Occident. C’est au terme de ce « cycle de la décadence » selon la formule de Ludovic Marino et Louis Michaud que Jean Cau écrit Le Chevalier, la Mort et le Diable en 1977. C’est un livre à part dans la mesure où il n’est pas un exercice de négation mais un livre positif qui propose une voie, une morale aristocratique, celle du Chevalier de Dürer. Jean Cau se livre à un exercice de méditation à partir de la gravure éponyme de l’artiste allemand de la Renaissance Albrecht Dürer, « méditation superbe » écrira Maurice Druon. Jean Cau amateur d’art possédait dans son appartement parisien rue de Seine de nombreuses œuvres d’art dont une copie de la gravure de Dürer Le Chevalier, la Mort et le Diable. Le choix de cette œuvre par Jean Cau n’est sans doute pas le fruit du hasard sachant que Jean Cau était nietzschéen (il appelait Nietzsche « son ami ») et que Nietzsche dans La Naissance de la tragédie décrit la gravure de Dürer comme le symbole des esprits solitaires en quête de vérité à l’image du philosophe Schopenhauer :
« Un esprit qui se sent ici isolé, désespérément solitaire, ne se saurait choisir de meilleur symbole que le Chevalier accompagné de la Mort et du Diable, tel que nous l’a dessiné Dürer, le Chevalier couvert de son armure, à l’œil dur, au regard assuré, qui, seul avec son cheval et son chien, poursuit impassiblement son chemin d’épouvante, sans souci de ses horribles compagnons et pourtant sans espoir. Notre Schopenhauer fut ce Chevalier de Dürer : il lui manquait toute espérance, mais il voulait la vérité. Son pareil n’existe pas. »
Jean Cau étant lui-même un esprit libre en quête de vérité, il se reconnaît naturellement dans cette figure du Chevalier :
« De lui à moi se reconstituent sans effort les chaînons et il vient jusqu’à mon seuil après un voyage à travers siècles et histoire. Aucun étonnement. Je le reconnais. J’ai été lui. »
Jean Cau cherche à percer le mystère du Chevalier de Dürer et son sourire énigmatique narguant la Mort et le Diable. Il y voit le triomphe du héros qui va de l’avant, qui méprise le danger et invite par son exemple à la grandeur. Jean Cau en tire une morale aristocratique :
« Voilà l’unique devoir du chevalier. Toujours, en soi et hors de soi, affirmer l’exemple. »
Cet exemple conduit dans la forêt germanique où se dirige le Chevalier de Dürer et l’on sait depuis Tacite qu’elle abrite le culte secret des anciens dieux des Germains. Le Chevalier de Dürer pourrait bien être un chevalier païen ce que laisse entendre Jean Cau quand il le compare à un dieu :
« Mais, moi, j’ai vu le chevalier sourire, tel un dieu inconstant, car il savait combien sa force déciderait de la vérité ou des mensonges. La cause sera juste selon sa brusque humeur. »
Ce culte de la force qui façonne la vérité et les mensonges, le bien et le mal est un écho évident de la philosophie de Nietzsche développée dans La Généalogie de la morale. La morale du Chevalier de Dürer vue par Jean Cau est une morale nietzschéenne, une morale de maître qui défie même la Mort car la figure du Chevalier dans l’imaginaire européen est un idéal, un rêve contre lequel la Mort ne peut rien :
« J’ai été rêvé et tu ne peux rien contre le rêve des hommes. »
D’aucuns pourraient estimer que cette rêverie est vaporeuse et est le propre, pour reprendre le titre d’un roman de Pierre Drieu La Rochelle, de la « rêveuse bourgeoisie » mais il n’en est rien. Non seulement Jean Cau était un fils de prolétaires et n’a eu de cesse de dénoncer la morale bourgeoise mais son essai a vocation à inspirer l’action à l’image de la mort volontaire de l’historien Dominique Venner à Notre-Dame-de-Paris en 2013 pensée comme un acte de résistance à la décadence, Venner citant l’essai de Jean Cau dans son livre testament Un Samouraï d’Occident avec en couverture la gravure de Dürer.
Moralité, il faut lire Le Chevalier, la Mort et le Diable parce que pour citer Jean Cau « Tu as ce choix, ici, dans cette vie, d’être unique ou commun. »
Olivier Meyer, poète écrivain, animateur de la Nietzsche Académie, auteur du "Roi Veneur" et de "Chlowig le dernier païen"
Answers from Bronze Age Pervert to the Nietzsche Academy’s Questionnary. Bronze Age Pervert is an american author famous in the alt right for his nietzschean book "Bronze Age Mindset". He defines himself on his X profile as an « Aspiring Nudist Bodybuilder. Free speech and anti-xenoestrogen activist.»
Nietzsche Académie - How important is Nietzsche for you ?
Bronze Age Pervert - Nietzsche was the thinker I discovered at age 16 and I was quite angry at first while reading him, but over a few months, I couldn't put his books down, and he seduced me in this way. I'd say that since then I've been convinced that Nietzsche is the prophet of our time meaning in the broadest sense, that he represents a break with history as profound as what developed around Plato or Jesus and maybe more so. We are now only about 100 years since his death but this will be seen I believe in the coming centuries. Having these feelings I can't help but feel that he is the most important thinker to me if I'm asked this question as a kind of ultimatum. But I need to emphasize that, although for polemical purposes--in part to protect myself--and out of modesty I've presented myself at times as a mere popularizer of Nietzsche, I didn't set out to write my own book self-consciously as a commentary on Nietzsche in any way...or on any other thinker or doctrine. The reason my book has enduring popularity I believe, despite the fact I had to self-publish and that it's mostly given the silent treatment by mainstream press or otherwise heavily distorted--is because I wrote it about my own experiences of the world and of life. So I've tried to "digest" Nietzsche--and other thinkers as well, though again they weren't on my mind when I was writing--and to render to the reader my own understanding or experience of the world. I don't like "book reports" in any case. And so I think I wrote something that was maybe half in novel form, and is accessible to many types of readers with different interests. If this helps people understand Nietzsche better then this is good as well--my friend LokiJulianus called Bronze Age Mindset the first book in 100 years that cuts through all the obfuscations about Nietzsche. As you may know, his thought has been highly "edited" so much that even academics and professionals believe mostly lies about him. I was going to add "maybe especially academics" but now with a new wave of popularity brought to Nietzsche in recent years online, I see so many stupid things said about him by so many different kinds of people.
N.A. - Being Nietzschean what does it mean ?
B.A.P. - One thing that's not "Nietzschean" in any sense is our age at the moment, the actual world we live in...it's no more "Nietzschean" than the Roman world of 140 AD was Christian, and I'd say far less so. This needs to be addressed because the previous distortions have led to a strange condition...both the populist right (at least in America, where it is allied with the religious and social conservative right) and the left, as well as other sectors of American society, like to call their enemies "Nietzscheans" today. Both call each other "Nietzschean eugenicists"; the left believes these bizarre conspiracy theories where "Nazi billionaires" are running worldwide Capital as a form of the Fourth Reich, or that Nazi Germany took over the United Stated through Operation Paperclip and such things. But the populist right, the Alex Jones people--and not just them, a large sector of the religious right--believe similar things. They think that "Bill Gates is the real Nietzschean" and is running worldwide depopulation Machiavellian schemes, or that liberal billionaires like Gates or others have special plans such as you see in movie "Elysium," to build orbital stations and that the current commotions of our time are engineered in this Machiavalliean cynical way. I'm not sure this stupidity is happening in Europe but in America it's very common on "dissident" circles right and left to claim that the country is actually Nietzschean as it is now. Some even go so far to say that Gavin Newsom, the ineffectual governor of California, is "Nietzschean" because he has a large good looking family and is obviously "practicing eugenics." So when this pitch of stupidity is reached around the labeling, the definition of this word, I think it's better abandoned rather that disputed. Of course you and I know, and anyone who reads Nietzsche knows, that none of this has anything to do with anything he wrote, and also in short that if he had written, "Any group in charge anywhere at any time in any country is great and deserving of its position and you need to admire and obey them," no one would have been inspired by him. Well then I'm sorry to have go on for so long on this, arguing against stupidity is debasing. But for an interview with Nietzsche Academie I thought it appropriate--this word having been debased and dumbified in our time, "Nietzschean," I think the question has to be outflanked somewhat. So I only answer here what is not Nietzschean--our age is not, and until there are giant statues of Nietzsche overlooking great cities, as the statue of Jesus stands over Rio de Janeiro, or until there are magnificent gigantic Nietzsche busts and temples publicly venerated, it's not appropriate to call a state or an age "Nietzschean." As for what it is, what it could be--it would have to be the full rebirth of Hellenism in our time, the full rebirth of the promise of Greek culture, in short.
N.A. - Which book of Nietzsche would you recommend ?
B.A.P. - I recommend Ecce Homo to start Nietzsche...it may be unusual suggestion to start, but it was Giorgio de Chirico's favorite book of Nietzsche's for a reason (he believed he was the reincarnation of Nietzsche by the way). It's always been artists who understood Nietzsche better than thinkers and "philosophers" in the 20th Century (I mostly believe there were no philosophers after Nietzsche). The problem is then you can tell someone, to understand Nietzsche read Mishima, early Junger, D'Annunzio, Joseph Conrad, Ernst von Salomon, Ernst Kantorowicz--you asked me what is a Nietzschean, I'd say these men are maybe true Nietzscheans, and add Chirico for just seeing it directly in perception, if you are open to such things...and a few other such artists and historians who I think show what Nietzsche is much better than a treatise or commentary....but then there's no easy way to explain to someone else what all this means in a few sentences. I think that's a good thing, that you can't say it that way, it would be a superficial "doctrine" in that sense. But Ecce Homo gives you direct access I think to this sensibility...then if you like that I'd say Nietzsche's greatest books are Twilight of the Idols and Beyond Good and Evil. "Skirmishes of an Untimely Man" in Twilight is a big pleasure to read...both books contain the most thorough-going attack on leftism and "modern ideas" and the disaster they bring. Genealogy of Morals also has title to be called maybe the most anti-leftist book ever written, despite the fact that it is his most "read" book in academia (no one actually reads it--just excerpts and the "point" you're supposed to take, forcefed by a commentary). So I'd say start with Ecce Homo, then move to Twilight of the Idols and the others if you like it. A different path could be, if you are especially artistically inclined, you can read Birth of Tragedy soon after Ecce Homo. For all I'd recommend to read and not miss Nietzsche's unpublished early essay on The Greek State --it is very certain demonstration of the unity of his thought throughout his life, and the way he combines philosophical, political, and artistic concerns in this essay is important key to his orientation.
N.A. - Nietzsche is left or right ?
B.A.P. - Without a doubt Nietzsche is the most right wing thinker ever. It's important to remember however that his concerns aren't ultimately political and his thought can't be reduced to merely political positions--it is the over-all development of man, or the possibility of human culture as such that is a much bigger concern for him. That said, the fact that Nietzsche has numerous other concerns including some that are more important than mere politics doesn't mean that his political positions aren't sincere or shouldn't be taken seriously--they are however meant to be "of the age," meaning that as all exoteric doctrines go, he adapts his political positions to the "modern age," which should be distinguished from the ancient age. There's a lot of confusion on these profound political problems in Nietzsche because of wishful thinking on one hand, and on the other wrong definitions of what right and left mean spiritually, as well as the related fact that almost all who address Nietzsche (including especially supposedly objective or apolitical academics) are emotional, political people, and Nietzsche presses people's buttons and provokes like no one else can. An entire book could be written about this, but as this is a short interview, I'll direct reader to the recent short academic book "Nietzsche on Theognis of Megara," which I guess you could find online. Unless I'm mixing things up there's an essay here where in very simple, direct way is shown that the reading of Nietzsche as a leftist or a liberal (or "individualist") is in no way tenable, and is a wishful construct of post-1950's academia. I think Allan Bloom was right about this by the way: that the left, with the Marxist predictions about the economy proven wrong and Marxist grand-narratives of History no longer in fashion--as well as the fact that the working classes in large part rejected Marxism in the West--switched to Nietzsche as a more fashionable or "edgy" thinker, who, however they distorted to try merely to "deconstruct" culturally dominant narratives and so on. From this point of view I actually think the conservative intellectual's use of the term "cultural Marxism" is in large part correct, as they moved on from economic and class analysis to what the equivalent would be in terms of cultural and literary analysis, using Nietzschean deconstructionist and genealogical techniques to try to achieve fundamentally egalitarian goals. This project furthermore goes very well with that of mass migration from the Third World--this is the post-Marxist analogue of the Marxist unity of "working class"...although I would say "Third World revolution or the revolution of the Global South" is actually the intended end effect of Marxism. Connected to this is the problem of sexual liberation-- this matter is highly distorted by stupid people like Alain Soral and other Duginists who lie about customs and practices of the Global South--but the original understanding is that the sexual looseness and gender vagueness common among tropical peoples (including in the Islamic world) would also challenge Western sexual repression norms inherent in the practice of monogamy, whether Christian or Greco-Roman. I am going off on quite a tangent here but these matters are connected, and I'd say rightly connected, in the minds and intentions of the original leftist post-Marxist thinkers, who I think actually have gone to the root intention of Marx rather than get mired in his demonstrably silly economic theories. The economic side of Marxism, as in any socialism, was never about economics as such of course. This "improvement" of Marxism which abandons Marxism cretinism on economics in favor of distorted Nietzschean arguments about deconstruction and genealogy isn't tenable for reasons briefly explained I think in the book I mentioned above. Nietzschean deconstruction and genealogy is inseparable from deconstruction of egalitarian ways of thinking specifically (democracy and socialism being naturalized forms of Judaism/Christianity). The reasons for this are too extended to get into in a short interview. But I'll add that this concerns a problem with the practice of "genealogy" as such, which is common now also on the "dissident right" and the new right. It's a common type of argument that assumes that if for example you "trace" modern problems to some thinker or doctrine--whether it's "Lockean individualism," the "Protestant Reformation," "nominalism," "Gnosticism," "Puritanism" and many such--that you've thereby solved the problem. Many times there's not even any effort to disprove or argue against the thinker or doctrine to which the modern problems are traced--it's a tactic to inspire in the reader or audience a reflexive rejection at a symbol or taboo. But even if you were able to disprove that "originating" idea, nothing would be achieved because it's entirely possible for a problem to have an intellectual origin in one thing but to be sustained in our own time by another thing. Therefore if I as a Nietzschean don't like Locke and his liberalism, on the other hand it's absurd to claim that today the problem in the United States is "Lockean individualism"--it's just so much a fantasy that this is what confronts youth in schools in America now for example. Nietzschean genealogy isn't this--it's very different because it doesn't try to just go to the origin of an idea or word, but to show why the psychological and impulsive base for it continues in our own time, even if under a somewhat different guise. This is very different from what goes today by the name genealogy, and especially so in leftist academic settings where Nietzsche is routinely distorted and edited beyond recognition. So much for this then--all of this aside, it's worth it to recognize that before 1940 Nietzsche was seen in Europe as the father of the most promising and radical right wing movements, and of the youth right wing movements specifically. This is simple historical fact that can't be changed no matter how many feet are stomped, and the only way around it is to claim that all Europeans before 1940, pro and anti-Nietzsche didn't understand him, but that only people after 1950 understand him. The wild, hopeful and energetic European right wing art and political-social movements of the time--again Giorgio de Chirico and what came out of him, the Futurists, Celine, the rush of spirit in Junger and Ernst von Salomon, the scouting movements, Stefan George and his circle--all of these were the explicit Nietzscheans of that time, and all would be rightly classified as "far right" or "radical right." Today reactionaries or conservatives either are ignorant about this or lie about it, and like to pretend that the only real right wing is some variety of "throne and altar," which upholds traditional culture and society, the remnants of the feudal order, and especially the role of the Church or Christianity in society. With this formula they have lost--they lost back then, they've lost continually since 1950 and led to the disasters of our time because of their impotence and complicity in the egalitarian disaster. Nietzsche was sympathetic to the ancien regime but he realized what nostalgists don't, that it was a dead order--socially, spiritually and intellectually. The Nietzschean position as the radical right after 1900 is an attempt to go to the roots of the problem, and constitute a new order and new hierarchy, including a new spiritual hierarchy, to not only oppose the "calamity of modern ideas" inherent in democracy, socialism, liberalism and leftism, but offer man a new path of ascent to nature, inspired by Hellenic spirit. In the context of current debates, it's important to remember that although Nietzsche advocates for a united Europe and criticizes both nationalism and monarchies, he does so from a pan-European persepctive that would be called racialist in our day. That it wasn't solely confined to race as such (or as currently understood) is true, but it's also true that Nietzsche would have seen the flood of the Global South into Europe as yet another predictable program of the united leftist impulses. On many occasions such as Beyond Good and Evil 208 and 243 he makes it clear that it is European man specifically that all hopes for future must rest on, and on whether a caste can be formed that will give European man mastery of the earth in the coming millennium.
N.A. – Which authors are Nietzschean ?
B.A.P. – I've mentioned quite a few already but I'd like to emphasize the importance of the Stefan George Circle as I think they are maybe some of the purest Nietzscheans--a secret society and artistic circle with a mission to refound the Reich on a pan-European basis and create the spiritual preconditions for the emergence of a new type of man. It was an amazing ambitious project that, whatever its other results, led to the creation of some of the best poetry and historical works. To any reader I'd recommend Ernst Kantorowicz biography of Frederick II Hohenstaufen, who Nietzsche considers one of history's fateful men. I think Stefan George's own poetry is maybe inaccessible to most, especially in English. Aside from this, the typical trio of Celine, Junger and Mishima should absolutely be read together with Nietzsche by any modern reader, because that's the best cure for the leftoid and liberal distortions of Nietzsche that have been spread for so long. D'Annunzio and his book Flame of Life and Ernst von Salomon the Outlaws are also very good. Then I think there are the "Nietzschean authors before Nietzsche" among who I'd say Stendhal is number one--reading Stendhal's novels, his work on Napoleon, and then searching through Nietzsche for Napoleon in context would be very useful on its own. I've mentioned others as well above. After Nietzsche the most notable nonfiction thinkers on the right would be Heidegger and Carl Schmitt...they are Nietzschean...whatever is true and insightful in them is mostly taken from Nietzsche or an elaboration of Nietzsche, and the rest isn't useful. The same is true for Leo Strauss. This is my opinion at least...I have friends who value them very highly and I respect this.
N.A. - Can you give a definition of the superman ?
B.A.P. - The superman is mankind's only possible project after the death of God. The alternative is no project at all or rather a continuation of the world of the dead God in his absence, which means that man returns to the mire of domestication, maybe this time made permanent by the loss of all memory in the adulteration of the few remaining pockets of vital blood with domestic. I know what I'm saying sounds maybe crazy but it's not: God, a kind of ultimately obsessive atheism, a denial of the divinity of the world and of matter, was only possible on the back of a radically egalitarian dogma that denied nature and the order of hierarchy in nature. When Nietzsche speaks of the falsification of the history of Israel in the Bible I think this is a very profound clue: you are dealing here not with a people or a religion in the normal sense up to that time. Judaism--whatever it may have been in remote antiquity (and it was probably a kind of normal polytheism) became after the Maccabees and the Hasmonean dynasty something entirely new, a form of aggressive nationalism with universalist pretensions, created as my friend the Bureaucrat whispers to me, as an alternative to Hellenism and Romanity, quite self-consciously. It was possibly heavily influenced by Plato's Laws: it's not a "religion" in the sense normally understood...as an inversion of Hellenism and Romanity, through an act of simplification and also unintentionally maybe even it hit upon something new: it should rather be understood as the ideological expression of a type of biology, or the liberation of the oppressed chandala of antiquity. This is how Tacitus understood it. Christianity in turn began only as a very aggressive and violent form of it, and the 2.0 peaceful version only gained prominence after the Christian-led revolt of the 60's AD during which Rome destroyed Judaea (the peaceful mask promptly went off with assumption of power of the priestly types). However as is well known the spiritual struggle was lost: although it can be argued that what came out of that part of the world was in this way adapted to civilization and "tamed" in fact the fundamental inversion was never nullified and gained the upper hand. In what was Rome and then the NOT-Rome that came out of the Levant, which was I still claim purely and entirely a NOT-Rome, out of this struggle emerged European civilization in the modern era (meaning simply not-ancient, and thus including the so-called Middle Ages). Which is a kind of spiritual battleground of the spirit, and European man carried this battle in him everywhere. I don't think this battle alone can be called the cause of European greatness, because it's also the root of its corruption by our day, and arguably Europe would have been much greater with simply Hellenic culture... but in its own way it contributed--anyway much more can be said about this, but to get to your question...the atheism inherent in the Biblical rejection eventually got the upper hand, there's the well-known Nietzsche line, that atheism is the result of 2000 years of training in the discipline of truth that finally forbids itself its precondition, the lie of God. But God (which is really an anti-gods, and not in any way comparable to ancient religiosity), this idea that tyrannized over man died, leaving behind only the moral project, and to some extent also the effects of 1000 years of this project, the misbreeding of man...a being suited to this project. It is this that threatens to swallow up all of mankind now in a wretched endless domestication. I went on this tangent to say: the superman is the attempt then to begin the correction of this calamity, and although it is calamity it opened up greater possibilities: it's an attempt to birth a new god and new gods on a scientific basis or rather on a true apprehension of the natural hierarchy of values. It is, in our situation, the only way out for mankind: the birth of new gods out of scientific atheism. I'm aware of all the other definitions, the redeemer of the eternal recurrence, Caesar with the soul of Jesus, and many other such, but I think this is the kernel of it.
N.A. - Which is your favorite Nietzsche's quote ?
B.A.P. - My favorite aphorism is the one about Alcibiades and Frederick 2 Hohenstaufen, from Beyond Good and Evil, 200. My favorite quote changes all the time. There are many beautiful ones from the Will to Power about total hygiene earth. But OK that's more complicated, not a final product. For today, let's say my favorite is aphorism 243 from Beyond Good and Evil: "I am pleased to hear that our sun is caught up in a rapid movement towards the constellation Hercules, and I hope that men on this earth act like the sun in this respect. And we first, we good Europeans ! "
Réponses de Clotilde Venner au Questionnaire de la Nietzsche Académie. Veuve de l'historien Dominique Venner (figure nietzschéenne par excellence), Clotilde Venner, qui a fait des études de philosophie, est l'auteur avec Antoine Dresse du livre "A la rencontre d'un coeur rebelle. Entretiens sur Dominique Venner" aux éditions La Nouvelle Librairie.
- Nietzsche Académie : Quelle importance a Nietzsche pour vous ?
- Clotilde Venner : Bien que j’aie fait des études de philosophie, je ne pense pas l’avoir compris avant l’âge de 40 ans. Il m’a fallu une certaine maturité pour le comprendre de l’intérieur.Ce que j'apprécie chez Nietzsche, c'est sa lecture du monde grec qu'il a magnifiquement renouveléet rééquilibré. En effet, on avait vu chez les Grecs, tout au long du Moyen Âge et à l'âge classique essentiellement le logos, le raisonnement rationnel alors que les Grecs sous l'influence des présocratiques et des tragiques mettaient à égalité le raisonnement intellectuel et l'énergie vitale. Nietzsche nous fait aimer et comprendre les Grecs. L'autre aspect de sa pensée que j'apprécie, c'est l'importance qu'il accorde au corps, pas au sens hédoniste et narcissique actuel, mais dans le sens où l'on ne peut dissocier le corps de l'âme. Quand on se soucie de son âme, ce n'est en rien une activité superficielle et vaine : " Comment faut-il que tu te nourrisses, toi, pour atteindre ton maximum de force, de virtu, dans le sens que la Renaissance donne à ce mot, de vertu libre de moraline ? " Ecce Homo. Pour moi, il est le penseur de l'énergie vitale, c'est ce que j'aime le plus chez lui. Il écrit également dans La Généalogie de la Morale : " nos idées ne s'enracinent pas dans notre raison, mais en nous, dans notre corps, dans notre chair, dans notre être le plus profond. "
- Nietzsche Académie : Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?
- Clotilde Venner : C’est vouloir constamment se dépasser, s’élever, ne pas se contenter d’être ce que l’on est ou d’être ce que les autres voudraient qu’on soit. C’est être animée par une tension intérieure qui nous pousse à créer. La triade homérienne de Dominique [Venner] traduit magnifiquement cet élan spirituel qui nous vient des Grecs : la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon.
- Nietzsche Académie : Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?
- Clotilde Venner : Mes deux livres préférés sont La naissance de la tragédie et Le Crépuscule des Idoles.
- Nietzsche Académie : Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?
- Clotilde Venner : Ni l’un ni l’autre. Car l’éthique aristocratique de Nietzsche est très loin des idées de la gauche qu’elle soit de tendance socialiste ou marxiste. Et aussi de la droite surtout si elle est libérale.
- Nietzsche Académie : Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?
- Clotilde Venner : Je pense à trois auteurs que j'aime beaucoup. Le premier est le Dr Alexis Carrel qui reçut le prix Nobel de médecine en 1912. Ses réflexions dans L'homme cet inconnu sur le corps, la santé, sur ce qui provoque la décadence physique et mentale d'un peuple rejoint la pensée de Nietzsche. Le second c'est René Quinton (également un biologiste), l'auteur de Maximes sur la Guerre, écrites pendant la guerre de 14-18, c'est une sorte de Jünger français mais en beaucoup plus musclée. Sa pensée est par certains côtés très nietzschéenne mais aussi darwinienne. Le troisième auteur est Mircea Eliade, l'historien des religions, qui fut l'ami de Ionesco et Cioran. Pendant sa jeunesse, il écrivit un roman très autobiographique Gaudeamus, qui relate le combat intérieur d'un jeune intellectuel qui souhaite vivre selon des principes nietzschéens. J'aimerais évoquer également le roman de Muriel Barbery, L'élégance du Hérisson qui est pour moi un roman à bien des égards nietzschéen. Le personnage principal est une adolescente qui éprouve une profonde révolte contre la médiocrité de son milieu social. Je dirais que c'est elle le personnage le plus nietzschéen de l'histoire. Il est rare de trouver des personnages de femmes nietzschéennes dans la littérature mais c'est encore plus rare que ce soit des adolescentes.
- Nietzsche Académie : Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?
- Clotilde Venner : Si je devais donner une définition personnelle je dirais que le surhomme, c'est avant tout un créateur, un bâtisseur, un inventeur, quelqu'un qui s'élève au-dessus de la commune humanité. Tous les grands artistes de la Renaissance appartiennent d'une certaine manière à cette catégorie. Je pense à Léonard de Vinci, Michel Ange.
- Nietzsche Académie : Votre citation favorite de Nietzsche ?
- Clotilde Venner : " La beauté n’est pas un accident - La beauté d’une race, d’une famille, sa grâce, sa perfection dans tous les gestes est acquise péniblement : elle est comme le génie, le résultat final du travail accumulé des générations. Il faut avoir fait de grands sacrifices au bon goût, il faut à cause de lui avoir fait et abandonné bien des choses (…) Règle supérieure : on ne doit pas « se laisser aller » même devant soi-même (…) Tout ce qui est bon est héritage, ce qui n’est pas hérité est imparfait, n’est qu’un commencement. " Le Crépuscule des Idoles 47 §
Réponses de l'essayiste Romain d'Aspremont au Questionnaire de la Nietzsche Académie. Diplômé de Sciences Po Paris, Romain d'Aspremont est l'auteur des essais d'inspiration nietzschéenne "Penser l'homme nouveau" et "The Promethean Right".
Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?
Romain d'Aspremont - Il est moins le penseur qui m'a le plus influencé que celui dans lequel je me suis le plus retrouvé. Un auteur qui nous influence transforme nos opinions ; Nietzsche les a affinées, perfectionnées. L'auteur qui a réellement transformé ma vision du monde est le philosophe idéaliste Bernardo Kastrup, pour lequel la matière n'est que la projection, l'apparence de la conscience. Tout comme Nietzsche, Kastrup est influencé par la métaphysique de Schopenhauer (la nature de la réalité est la volonté, non pas rationnelle mais instinctive). Kastrup m'a toutefois permis de réaliser que la vision cosmologique de Nietzsche, selon laquelle la nature de la réalité est la volonté de puissance qui gouverne le vivant comme l'inerte, est compatible avec les dernières découvertes dans le domaine de la physique quantique (qui rendent le matérialisme et le dualisme intenables). Nietzsche est toutefois le seul penseur idéaliste (le “volontarisme métaphysique” de Schopenhauer et de Nietzsche est une forme d'idéalisme) à ne pas sombrer dans une vision de type bouddhiste : le cosmos ne reflète aucun “amour universel” venant apaiser le coeur des êtres maladifs pour lesquels l'existence n'est que souffrance dont il faut se libérer.
N.A. - Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?
R.d'A. - Viser le dépassement de soi, du groupe, de l'espèce. Ne pas se complaire dans une nostalgie morbide, mais créer les conditions propices à l'éclosion d'une nouvelle espèce, plus énergique et créative qu'Homo Sapiens, délivrée du ressentiment, du nihilisme et de la haine de soi. Nietzsche a compris que l'Homme était une espèce maladive, qui s'est hissée trop rapidement au sommet de la chaîne alimentaire, sans avoir eu le temps de développer la confiance en soi propre à tout prédateur. Notre conscience est « notre organe le plus faible et le plus faillible »; y voir un accomplissement de l'évolution darwinienne est une erreur. La nature humaine n'est qu'une ébauche, une construction branlante. Le plus grand crime contre l'espèce serait de vouloir figer son évolution et, par là même, l'empêcher de prendre le contrôle de son avenir biologique. Voir en Nietzsche un penseur conservateur et anti-transhumaniste est erreur. Nietzsche est l'inverse d'un penseur de l'impuissance et de l'auto-limitation. Il nous intime d'affronter le danger qu'implique toute entreprise de dépassement : « L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme. » Ce fil au-dessus de l'abîme, c'est le transhumanisme ; c'est précisément la raison pour laquelle il nous faut nous y aventurer. Le dysgénisme est un abîme plus effroyable encore.
N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?
R.d'A. - Généalogie de la morale est son livre majeur car il dévoile la nature du poison qui ronge l'Occident : le Christianisme, la matrice de la gauche, de l'égalitarisme, du pacifisme, de la haine de soi. Les personnes de droite attachées à la défense du christianisme se doivent de lire ce texte, qui leur permettra de réaliser leur formidable incohérence intellectuelle. La droite se sent l'obligation de tout conserver du passé. Nietzsche souligne l'importance de l'oubli, de la purge – nécessité biologique et civilisationnelle. La mauvaise conscience faite religion ne saurait être conservée. Généalogie de la morale doit toutefois être complété par les Ecrits posthumes dans lesquels Nietzsche esquisse sa vision du Surhomme.
N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?
R.d'A. - Nietzsche est le père de la droite prométhéenne (révolutionnaire ou faustienne). Ses valeurs sont de droite (hiérarchie, amour de la lutte) mais anti-conservatrices. Il considère les conservateurs comme une version appauvrie de la volonté de puissance : ils se contentent de conserver au lieu de croître. C'est là notre droite : une droite du juste-milieu, de la juste-limite, à taille humaine. Une droite-bonsaï. Tandis que la droite conservatrice s’interroge sur « comment conserver l’homme […], Zarathoustra demande […] comment l’homme sera-t-il surmonté ? » (Zarathoustra, livre IV, « De l'homme supérieur »). La droite est tellement sclérosée dans son conservatisme que la volonté nietzschéenne de forger un homme nouveau – le Surhomme – est parfois assimilée à une entreprise gauchiste. Depuis la défaite du fascisme, le concept de progrès est tout entier assimilé à la gauche : que l'on ne cherche pas plus loin la cause profonde de la mort de l'Occident et de la suprématie idéologique de la gauche. Nietzsche nous permet de comprendre, ou plutôt de redécouvrir, que la volonté de dépassement et de progrès (osons nous emparer de ce concept !) est intrinsèquement de droite, car elle est le moteur même du vivant. La gauche est le royaume de l'égalitarisme, de la conservation, c'est-à-dire de la mort. La droite doit être celui du dépassement, de la rupture : « L’homme est le prétexte à quelque chose qui n’est plus l’homme ! C’est la conservation de l’espèce que vous voulez ? Je dis : dépassement de l’espèce. » (Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, IX, Gallimard, p.214).Pour notre époque, cela signifie embrasser le transhumanisme, au moins dans sa dimension génétique (plutôt que cybernétique). Dans Zarthoustra, la dimension eugéniste est explicite, avec cet appel à améliorer l'espèce : « C'est un corps supérieur que tu dois créer (...) - c'est un créateur que tu dois créer. Mariage : ainsi je nomme de deux êtres le vouloir de créer un seul être qui soit plus que ses créateurs. »
N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?
R.d'A. - Trop peu parmi les auteurs majeurs. Spengler s'en approche, mais il demeure hélas trop conservateur. Pour Nietzsche, l'âge d'or est à venir tandis que Spengler demeure désespérement décliniste. La Doctrine du Fascisme, co-écrit par Giovanni Gentile et Mussolini, est une remarquable tentative de transformer l'individualisme de Nietzsche en une idéologie du dépassement collectif, dans le cadre d'un Etat totalitaire. Si cette oeuvre semble trahir la pensée de Nietzsche (penseur de l'individu, aux antipodes d'un Etat totalitaire), il faut garder à l'esprit qu'il nous exhorte souvent à ne pas concevoir ses écrits comme formant une doctrine.
N.A. – Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?
R.d'A. - Par-delà le bien et le mal, il est créateur de valeurs nouvelles, c'est pourquoi il est si délicat à définir. Il est un processus de dépassement permanent vers un surplus maîtrisé de vitalité, d'instincts, de sensibilité et de chaos intérieur. L'élitisme nietzschéen, qui affirme qu' «un peuple est le détour que prend la Nature pour produire six ou sept grands hommes - et ensuite pour s'en dispenser » est individualiste, ce qui le rend difficile à traduire politiquement. Ses surhommes semblent des demi-dieux solitaires et nomades, hermétiques les uns aux autres ; dans ces conditions, la société est à peine possible. Il semble qu'il n'y ait pas un seul type de surhomme, mais une infinité. Le rapport entre les surhommes et les hommes du troupeau n'est pas non plus hiérarchique. Nulle volonté de gouverner la masse, ni même de l'élever : « Le but n'est absolument pas de comprendre [les Surhommes] comme maîtres des premiers, mais au contraire : il doit y avoir deux espèces qui coexistent : les uns comme les dieux épicuriens, ne se souciant pas des autres ». C'est un élitisme de la frontière, de l'éloignement. Toute relation entre les surhumains et le troupeau est synonyme d'abaissement des premiers. Si l'homme fasciste se sacrifie pour la communauté, Nietzsche préfère sacrifier la communauté pour qu'advienne le surhumain. Cet individualisme est séduisant pour la jeunesse, mais il est également la raison pour laquelle la pensée de Nietzsche ne saurait, telle quelle, régénérer l'Occident, enferré dans un individualisme jouisseur. Il nous faut penser un juste milieu entre Nietzsche et Mussolini.
N.A. -Votre citation favorite de Nietzsche ?
R.d'A. - “L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme” ["Ainsi parlait Zarathoustra" - Le Prologue de Zarathoustra §4]
Nietzsche n’est jamais allé en Corse et pourtant l’île de beauté tient une place importante dans l’œuvre de Nietzsche. C’est tout le mérite du livre passionnant de Thierry Ottaviani "Nietzsche et la Corse" aux éditions Maïa de mettre en lumière ce tropisme corse méconnu du philosophe. Nietzsche projetait d’écrire « La Volonté de Puissance » en Corse en raison des vertus viriles prêtées aux insulaires incarnées dans la figure du bandit d’honneur et la vendetta. Dans ses fragments, notes écrites concomitantes à l’écriture de son œuvre, Nietzsche écrit « comme en Corse » au sujet de la communauté d’hommes supérieurs décrits dans la quatrième partie d’« Ainsi parlait Zarathoustra ». Nietzsche cherche chez les Corses l’idéal surhumain qu’il a entrevu chez Napoléon, le triomphe du type guerrier, fier et viril. Malheureusement Nietzsche de santé fragile, ne mènera pas à bien son projet de déplacement en Corse. Il n’en demeure pas moins que la Corse reste pour Nietzsche une île bienheureuse à l’instar des îles décrites dans « Ainsi parlait Zarathoustra », un idéal terrestre, matrice et laboratoire possible du Surhomme.
"Nietzsche est le philosophe de la grande santé, le premier à avoir théorisé la pensée du corps et érigé la physiologie en reine des disciplines. « La cure détox du Dr Nietzsche » inspireé de sa philosophie et de son vécu, citations à l'appui, vous apportera une aide précieuse pour devenir « un athlète d'acier trempé » à l'image de Nietzsche pour reprendre une formule du biographe Curt Paul Janz. Quel que soit votre niveau de forme, choisir « La cure détox du Dr Nietzsche » est la garantie désormais de prendre son destin en mains pour devenir un esprit sain dans un corps sain, une corde tendue vers le surhumain."