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5 juillet 2015 7 05 /07 /juillet /2015 19:45
Rémi Soulié

Réponses de Rémi Soulié, auteur de l'essai "Nietzsche ou la sagesse dionysiaque" (éd. Points), au questionnaire de la Nietzsche académie :

Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Rémi Soulié - Immense, comme philosophe, écrivain, penseur, moraliste, spirituel, poète et même, en un sens, musicien. L’oeuvre de Nietzsche n’a rien perdu de sa puissance de déflagration et de libération. A l’instar de Pascal, contre lui mais avec une intensité comparable, Nietzsche se saisit de l’ébranlement moderne dont il tire bien évidemment des conclusions très différentes de celles de l’auteur des Provinciales. De ce point de vue-là, son oeuvre est cruciale, à la lettre, en ce qu’elle se situe à la croisée de nos chemins.

J’ai rencontré Nietzsche assez tôt mais, à la différence des jeunes gens qui le lisent en général au sortir de l’adolescence, je ne l’ai lu sérieusement que vers 22 ou 23 ans, au premier chef pour des raisons plus politiques que métaphysiques ou religieuses — si tant est que cette distinction commode soit pertinente. En ce temps-là, c’est essentiellement le contempteur du « dernier homme » qui m’intéressait — je travaillais d’ailleurs à une étude sur le nietzschéisme des Deux étendards de Rebatet, que je reprendrai peut-être à l’occasion.

Ma seconde lecture cursive et minutieuse date de la rédaction du petit essai sur Nietzsche et la sagesse dionysiaque où la dimension religieuse — disons, gréco-romaine ou « païenne » — est plus présente.

Nietzsche compte au nombre des écrivains qui permettent de continuer à vivre quand le désert croît.

N.A. - Etre nietzschéen, qu’est-ce que cela veut dire ?

R.S. - De prime abord, il est plus aisé de dire ce que cela ne signifie pas : adhérer à un catéchisme ou à une orthodoxie, l’un et l’autre inexistants. Pour reprendre le titre d’un livre de Jean Grenier, je dirais que Nietzsche est celui qui, par excellence, nous délivre de l’« esprit d’orthodoxie », de cet esprit religieux qui se caractérise par son assurance culottée et plombée (au sens du cul-de-plomb.)

Etre nietzschéen, c’est accepter le beau risque de s’engager sur un chemin unique, le nôtre, et de travailler à regarder le soleil et la mort en face. « L’aigle regarde sans crainte le soleil en face… », écrit Angelus Silésius — on sait l’importance de l’aigle dans le bestiaire nietzschéen. Quant à la mort, c’est être grec que de se savoir « mortel », Nietzsche nous le rappelle utilement contre toutes les illusions. Au fond, Nietzsche autorise chacun à devenir qui il est, donc, à se trouver.

Etre nietzschéen, c’est prononcer un « oui » sans reste à la vie et l’aimer, c’est donc « rester fidèle à la terre » et au ciel (mais pas au sens toujours métaphorique de la religion, bien entendu.)

N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

R.S. - Le Crépuscule des idoles, à mes yeux le plus nietzschéen des livres de Nietzsche, y compris dans la forme — fragmentaire.

N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

R.S. - Il se situe autant par-delà la droite et la gauche que par-delà le bien et le mal ! Dans l’acception politicienne misérable de notre temps, ces deux notions ne veulent strictement rien dire. Demeurant néanmoins attaché à la notion évolienne de « Droite » principielle, je placerais volontiers Nietzsche dans cette catégorie, plus poétique ou philosophique que politique. Nietzsche, en effet, pourfend toutes les idoles vénérées par les modernes : l’égalité, le libéralisme, le socialisme, la démocratie, le droit, l’hédonisme, le progrès etc.

J’ai beaucoup de respect pour Michel Onfray et, en particulier, pour l’essai qu’il a consacré à « Cripure » — Georges Palante — et au nietzschéisme dit de gauche. Toutefois, je vois là une impasse ou, plus exactement, une aporie dont Michel Onfray lui-même commence de plus en plus à se rendre compte. Encore un effort et il pourra dire avec Péguy qu’« être peuple, il n’y a encore que cela qui permette de n’être pas démocrate ».

N.A. - Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

R.S. - Parmi les contemporains, Onfray, justement, mais aussi Philippe Sollers ou Gabriel Matzneff ; Renaud Camus, également, même si Nietzsche n’est pas explicitement présent dans son oeuvre : il mène une vie nietzschéenne en ce qu’il est un « esprit libre », libéré des préjugés et des superstitions actuelles. Je le dirais aussi de Marc-Edouard Nabe.

N.A. - Pouvez-vous donner une définition du surhomme ?

R.S. - Précisément, celui qui parvient à regarder le soleil et la mort en face, celui qui bénit l’alternance du jour radieux et de la nuit noire.

N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?

R.S. - « Amor fati : que cela soit dorénavant mon amour. » Je vois là le point culminant de la sagesse dionysiaque ou tragique. Vouloir le « tout » du monde est la marque du plus grand amour (Nietzsche est un grand penseur de l’amour ; je me demande jusqu’à quel point cela a été dit.)

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